21
MARS 2000. - COUR D'ARBITRAGE
Arrêt
n° 31/2000 - Numéro du rôle : 1685
En cause : le
recours en annulation totale ou partielle de la loi du 2 juin 1998
portant création d'un Centre d'information et d'avis sur les
organisations sectaires nuisibles et d'une Cellule administrative
de coordination de la lutte contre les organisations sectaires nuisibles,
introduit par l'a.s.b.l. Société anthroposophique belge
et autres.
La Cour d'arbitrage,
composée des présidents G. De Baets et M. Melchior,
et des juges H. Boel, E. Cerexhe, H. Coremans, A. Arts et R. Henneuse,
assistée du greffier L. Potoms, présidée par
le président G. De Baets,
après en avoir délibéré, rend l'arrêt
suivant :
I. Objet du recours
Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée
à la poste le 21 mai 1999 et parvenue au greffe le 25 mai 1999,
l'a.s.b.l. Société anthroposophique belge, ayant son
siège social à 9000 Gand, Oude Houtlei 2, L. Vandecasteele,
demeurant à 9030 Gand, Rijakker 30, et J. Borghs, demeurant
à 2330 Merksplas, Lipseinde 43, ont introduit un recours en
annulation de la loi du 2 juin 1998 portant création d'un Centre
d'information et d'avis sur les organisations sectaires nuisibles
et d'une Cellule administrative de coordination de la lutte contre
les organisations sectaires nuisibles (publiée au Moniteur
belge du 25 novembre 1998).
II. La procédure
Par ordonnance du 25 mai 1999, le président en exercice a désigné
les juges du siège conformément aux articles 58 et 59
de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage.
Les juges-rapporteurs ont estimé n'y avoir lieu de faire application
des articles 71 ou 72 de la loi organique.
Le recours a été notifié conformément
à l'article 76 de la loi organique, par lettres recommandées
à la poste le 23 juin 1999.
L'avis prescrit par l'article 74 de la loi organique a été
publié au Moniteur belge du 3 juillet 1999.
Des mémoires ont été introduits par :
- le Gouvernement de la Communauté française, place
Surlet de Chokier 15-17, 1000 Bruxelles, par lettre recommandée
à la poste le 6 août 1999;
- le Conseil des ministres, rue de la Loi 16, 1000 Bruxelles, par
lettre recommandée à la poste le 9 août 1999.
Ces mémoires ont été notifiés conformément
à l'article 89 de la loi organique, par lettres recommandées
à la poste le 15 octobre 1999.
Les parties requérantes ont introduit un mémoire en
réponse par lettre recommandée à la poste le
16 novembre 1999.
Par ordonnance du 26 octobre 1999, la Cour a prorogé jusqu'au
21 mai 2000 le délai dans lequel l'arrêt doit être
rendu.
Par ordonnance du 2 décembre 1999, le président en exercice
a complété le siège par le juge H. Coremans.
Par ordonnance du 2 décembre 1999, la Cour a déclaré
l'affaire en état et fixé l'audience au 22 décembre
1999.
Cette dernière ordonnance a été notifiée
aux parties ainsi qu'à leurs avocats, par lettres recommandées
à la poste le 2 décembre 1999.
A l'audience publique du 22 décembre 1999 :
- ont comparu :
. Me F. Tulkens, avocat au barreau de Bruxelles, pour les parties
requérantes;
. Me F. Van Nuffel loco Me P. Traest, avocats au barreau de Bruxelles,
pour le Conseil des ministres;
. Me N. Van Laer, en son nom propre et loco Me M. Uyttendaele, avocats
au barreau de Bruxelles, pour le Gouvernement de la Communauté
française;
- les juges-rapporteurs H. Boel et E. Cerexhe ont fait rapport;
- les avocats précités ont été entendus;
- l'affaire a été mise en délibéré.
La procédure s'est déroulée conformément
aux articles 62 et suivants de la loi organique, relatifs à
l'emploi des langues devant la Cour.
III. Objet des
dispositions entreprises
La loi du 2 juin 1998 organise, d'une part, un Centre d'information
et d'avis sur les organisations sectaires nuisibles (appelé
ci-après le Centre) (articles 3 à 12) et, d'autre part,
une Cellule administrative de coordination de la lutte contre les
organisations sectaires nuisibles (appelée ci-après
la Cellule) (articles 13 à 16).
L'article 2 définit ce qu'il y a lieu d'entendre par "
organisation sectaire nuisible " pour l'application de la loi.
Il énonce :
" Pour l'application de la présente loi, on entend par
organisation sectaire nuisible, tout groupement à vocation
philosophique ou religieuse, ou se prétendant tel, qui, dans
son organisation ou sa pratique, se livre à des activités
illégales dommageables, nuit aux individus ou à la société
ou porte atteinte à la dignité humaine.
Le caractère nuisible d'un groupement sectaire est examiné
sur base des principes contenus dans la Constitution, les lois, décrets
et ordonnances et les conventions internationales de sauvegarde des
droits de l'homme ratifiées par la Belgique. "
Le Centre est institué en tant que centre indépendant
auprès du ministère de la Justice. Il comprend douze
membres effectifs et douze membres suppléants désignés
par la Chambre des représentants à la majorité
des deux tiers et il est tenu compte de la parité linguistique
entre les membres francophones et les membres néerlandophones.
Les membres sont désignés pour un terme de quatre ans,
renouvelable une fois (articles 3 à 5).
L'article 6 définit les missions du Centre. Cette disposition
énonce :
" § 1er. Le Centre est chargé des missions suivantes
:
1° étudier le phénomène des organisations
sectaires nuisibles en Belgique ainsi que leurs liens internationaux;
2° organiser un centre de documentation accessible au public;
3° assurer l'accueil et l'information du public et informer toute
personne qui en fait la demande sur ses droits et obligations et sur
les moyens de faire valoir ses droits;
4° formuler soit d'initiative, soit à la demande de toute
autorité publique des avis et des recommandations sur le phénomène
des organisations sectaires nuisibles et en particulier sur la politique
en matière de lutte contre ces organisations;
§ 2. Pour l'accomplissement de ses missions, le Centre est habilité
:
1° à rassembler toute information disponible;
2° à effectuer toutes les études ou recherches scientifiques
nécessaires à l'exécution concrète de
ses missions;
3° à recueillir tous fonds d'archives ou de documentation
dont le sujet correspond à l'une de ses missions;
4° à assurer un soutien et une guidance à des institutions,
organisations et dispensateurs d'aide juridique;
5° à consulter ou inviter à ses séances des
associations et des personnes qualifiées dont l'audition lui
paraît utile.
Pour l'accomplissement de ses missions, le Centre travaille en collaboration
avec la Cellule administrative de coordination.
§ 3. Le Centre est pour l'accomplissement de ses missions visées
au § 1er, 1° et 3°, habilité à traiter
des données à caractère personnel relatives aux
opinions et aux activités philosophiques et religieuses visées
à l'article 6 de la loi du 8 décembre 1992 relative
à la protection de la vie privée à l'égard
des traitements de données à caractère personnel.
Le Roi précise dans un arrêté délibéré
en Conseil des ministres les garanties relatives à la confidentialité
et à la sécurité des données à
caractère personnel, le statut et les tâches d'un préposé
à la protection des données au sein du Centre et la
façon dont le Centre devra faire rapport à la Commission
de la protection de la vie privée sur le traitement de données
à caractère personnel.
§ 4. Les informations fournies par le Centre en réponse
à une demande du public se fondent sur les renseignements dont
il dispose et ne peuvent être présentées sous
forme de listes ou relevés systématiques des organisations
sectaires nuisibles. "
Les avis et recommandations du Centre sont motivés et sont
rendus publics sauf décision contraire du Centre dûment
motivée (article 7).
Le Centre peut disposer du compte rendu sténographique intégral
des auditions publiques de la Commission d'enquête parlementaire
de la Chambre des représentants visant à élaborer
une politique en vue de lutter contre les pratiques illégales
des sectes et le danger qu'elles représentent pour la société
et pour les personnes, particulièrement les mineurs d'âge
(article 8, § 2). Pour l'accomplissement de toutes ses missions,
le Centre peut requérir le concours d'experts (article 9).
L'ensemble des personnes traitant des données confidentielles
recueillies par le Centre est soumis au respect du secret professionnel
tel qu'il est visé à l'article 458 du Code pénal.
Cette obligation s'impose également à toute personne
extérieure au Centre intervenant en qualité d'expert,
d'enquêteur ou de collaborateur (article 10).
Le Centre présente tous les deux ans un rapport de ses activités,
qui est adressé au Conseil des ministres, aux chambres législatives
et aux conseils et gouvernements de région et de communauté
(article 11).
La Cellule est quant à elle également instituée
auprès du ministère de la Justice. Elle est présidée
par le ministre de la Justice ou par son délégué
(articles 13 et 14).
Ses missions sont les suivantes : coordonner les actions menées
par les services et autorités publics compétents; examiner
l'évolution des pratiques illégales des organisations
sectaires nuisibles; proposer des mesures de nature à améliorer
la coordination et l'efficacité de ces actions; promouvoir
une politique de prévention du public à l'encontre des
activités des organisations sectaires nuisibles en concertation
avec les administrations et services compétents; établir
une collaboration étroite avec le Centre et prendre les mesures
nécessaires afin d'exécuter les propositions et recommandations
du Centre (article 15).
IV. En droit
- A
Quant à la recevabilité
En ce qui concerne l'a.s.b.l. Société anthroposophique
belge
A.1.1. La première
partie requérante, l'a.s.b.l. Société anthroposophique
belge, a pour objet, en vertu de l'article 2 de ses statuts : "
promouvoir la connaissance de l'homme et du monde selon les méthodes
de la science spirituelle inaugurée par Rudolf Steiner sous
le nom d'anthroposophie ". Dans sa requête, elle précise
qu'elle entend être un groupement à vocation philosophique,
mais non religieuse, sans pour autant vouloir se livrer à des
activités illégales dommageables, nuire aux individus
ou à la société ou porter atteinte à la
dignité humaine.
Elle est, à son estime, affectée directement et défavorablement
par la loi entreprise. En effet, ses activités sont injustement
mentionnées dans la liste (qui n'a toutefois pas été
approuvée par la Chambre elle-même) des sectes figurant
dans le rapport de la commission de la Chambre, en sorte que le Centre
risque de reprendre la partie requérante sur la liste des organisations
sectaires nuisibles devant être étudiées. La réalité
de ce danger ressort d'une brochure publiée par la Communauté
française basée sur la liste précitée
et qui décrit l'anthroposophie comme une " secte ésotérique
transmettant un enseignement secret, des pouvoirs magiques "
et dans laquelle le décès d'une mineure d'âge
est imputé à des méthodes anthroposophiques appliquées
par un médecin, qui n'est d'ailleurs pas membre de la partie
requérante. Il est plus que probable que le Centre, qui doit
créer un centre de documentation accessible au public, intégrera
la brochure de la Communauté française sans la moindre
garantie que l'on y insérera également des décisions
judiciaires ordonnant provisoirement ou à titre définitif
la suppression de certaines mentions de cette brochure, notamment
celles relatives à l'anthroposophie.
A.1.2. Le Conseil
des ministres observe que cette partie ne peut invoquer sa personnalité
juridique que si elle satisfait aux formalités de la loi relative
aux associations sans but lucratif (a.s.b.l.). La décision
d'introduire le recours, prise par le conseil d'administration, et
jointe à la requête, a été signée
par six personnes, alors que, selon les dernières publications,
le conseil d'administration est composé de neuf personnes,
si bien qu'il n'est pas démontré que la décision
a été prise à l'unanimité. La pièce
est également signée par des personnes qui, selon les
dernières publications, soit, ne font pas partie du conseil
d'administration, soit, ont une autre qualité que celle mentionnée
sur la pièce. Par conséquent, la première partie
requérante soit n'a pas décidé valablement d'ester
en justice, soit a omis de publier dans les annexes du Moniteur belge
la composition actuelle du conseil d'administration. Dans les deux
cas de figure, il y a lieu de constater l'irrecevabilité du
recours.
La partie requérante ne mentionne pas davantage, sur la pièce
litigieuse, ainsi que l'exige l'article 11 de la loi relative aux
a.s.b.l., les termes " association sans but lucratif " "
immédiatement " avant ou après la dénomination
de l'association, si bien que pour cette raison aussi, la personnalité
juridique n'est pas opposable.
A.1.3. Selon la
première partie requérante, la première objection
du Conseil des ministres manque en fait. Lors de l'assemblée
générale extraordinaire du 21 avril 1999, certains administrateurs
ont été renommés et de nouveaux administrateurs
ont été nommés. Cette décision a été
notifiée le 22 avril 1999 au Tribunal de première instance
de Gand et aux services du Moniteur belge en vue d'une publication
dans les annexes. Ce sont les personnes nommées ou renommées
le 21 avril 1999 qui ont signé la décision d'introduire
le recours. Ce n'est que le 28 octobre 1999 qu'une demande de paiement
est intervenue. Le paiement s'est fait le 10 novembre 1999.
Pour ce qui est de la deuxième objection du Conseil des ministres,
la première partie requérante s'étonne de cette
vétille. La jurisprudence considère qu'un recours ne
peut être déclaré irrecevable pour ces motifs
que si le défendeur parvient à démontrer que
ce manquement lui cause préjudice ou lorsqu'il y a eu abus
ou fraude, ce qui n'est pas le cas en l'espèce. La mention
de l'abréviation " a.s.b.l. " suffit. En l'espèce,
la mention " association sans but lucratif " figure sur
le papier à lettre.
A.1.4. Le Conseil
des ministres considère en outre que le recours de la première
partie requérante est irrecevable à défaut de
l'intérêt requis en droit. Afin de pouvoir vérifier
si la loi entreprise affecte directement et défavorablement
la première partie requérante, il convient d'examiner
l'objet et l'économie générale de la loi. Le
champ d'action du Centre et de la Cellule est strictement délimité
par ce que la loi entend par " organisation sectaire nuisible
". Seules les organisations entrant dans le champ d'application
de la définition donnée à l'article 2 de la loi
font l'objet du domaine d'étude et de travail du Centre. Et
seules ces organisations peuvent être affectées directement
et défavorablement par la loi entreprise. La première
partie requérante nie être une telle organisation. Il
apparaît donc qu'elle estime elle-même ne jamais pouvoir
être affectée directement et défavorablement par
la loi. Elle craint néanmoins que la circonstance que son nom
ait fort malencontreusement été sali dans le passé
par le reproche d'être une secte puisse avoir pour conséquence
que les établissements créés par la loi soient
appelés à étudier aussi la première partie
requérante et à rendre des avis au public concernant
ses activités. De la seule circonstance que la première
partie ait été mentionnée par la commission d'enquête
parlementaire, il ne se déduit cependant pas qu'elle entrera
dans le champ d'action du Centre ou de la Cellule. La liste dont il
est question n'est ni plus ni moins qu'un aperçu de tous les
mouvements dont le nom a été mentionné au cours
des activités de la commission d'enquête. Cela ne signifie
nullement qu'ils sont réellement des organisations sectaires,
a fortiori des organisations sectaires nuisibles. Il n'appartient
d'ailleurs pas au Centre de publier des listes ou d'autres tableaux
systématiques d'organisations sectaires nuisibles. Il peut
uniquement rendre des avis et donner des informations sur une base
individuelle aux personnes qui le demandent et ces avis ne peuvent
porter que sur les organisations sectaires nuisibles. La circonstance
que l'anthroposophie ait été malencontreusement mentionnée
dans une brochure de la Communauté française ne constitue
pas davantage un intérêt suffisant. Le président
du Tribunal de première instance de Bruxelles a critiqué,
en des termes dénués de toute ambiguïté,
les passages de la brochure qui concernaient l'anthroposophie et a
ordonné que ces passages soient supprimés. Le fait qu'il
ait été interjeté appel de cette décision
ne porte pas atteinte au constat que l'ordonnance est revêtue
de l'autorité de la chose jugée et qu'en l'état
actuel, la façon d'agir de la Communauté française
doit être considérée comme fautive. Le Centre
créé par la loi entreprise offre toutes les garanties
nécessaires en matière d'expertise et d'objectivité.
Il paraît donc exclu que ce Centre fasse preuve du même
manque de prévoyance que la Communauté française
lors de la publication de sa brochure. La première partie requérante
n'a donc une fois de plus rien à craindre de la constitution
d'un tel Centre et n'en est dès lors nullement affectée
directement et défavorablement.
A.1.5. La première
partie requérante estime que les objections du Conseil des
ministres portent en réalité sur le bien-fondé
des moyens. Lors de l'examen de la recevabilité, il suffit
de constater que la partie requérante est susceptible d'être
affectée directement et défavorablement par la norme
entreprise. L'intérêt est, à cet égard,
apprécié de manière large (voy. notamment l'arrêt
n° 110/99, B.4.4.4). Les éléments produits par la
première partie requérante dans sa requête, joints
à d'autres (par exemple le rapport de la commission d'enquête
en France qui a traité de manière contestée de
l'anthroposophie, le droit de réponse télévisé
sur France 2), indiquent à suffisance que la loi entreprise
risque d'affecter directement et défavorablement les activités
de la première partie requérante, spécialement
lorsque l'on sait que le Centre est chargé d'assurer une documentation
accessible au public et que cette documentation intégrera selon
toute vraisemblance des éléments d'information mentionnés
plus haut concernant l'anthroposophie.
En ce qui concerne les deuxième et troisième requérants
A.1.6. L. Vandecasteele
et J. Borghs agissent à la fois à titre personnel et
en qualité de membres de l'a.s.b.l. Société anthroposophique
belge. Ils soutiennent que la loi entreprise est susceptible de les
affecter directement et défavorablement en ce qu'elle prévoit
notamment que " peuvent être traitées des données
à caractère personnel relatives aux opinions et aux
activités philosophiques et religieuses ". Dans la mesure
où ces données sont relatives à des individus
au seul motif qu'ils sont membres d'un groupement qui pourrait (à
tort) être considéré comme une organisation sectaire
nuisible, ils estiment qu'ils justifient d'un intérêt
suffisant à obtenir l'annulation de la loi entreprise.
A.1.7. Le Conseil
des ministres considère que les personnes en question ne justifient
pas de l'intérêt requis. En effet, elles font une lecture
erronée de l'article 6, § 3, de la loi. Cet article doit
être lu en combinaison avec l'article 2 de la loi, qui définit
les " organisations sectaires nuisibles ". Les données
à caractère personnel que peut traiter le Centre doivent
être nécessaires pour étudier les organisations
sectaires nuisibles et pour fournir en la matière les renseignements
utiles au public. Etant donné que la première partie
requérante, selon ses propres dires, n'est pas une telle organisation,
il est dès lors impossible que des données à
caractère personnel des deuxième et troisième
parties requérantes soient traitées. Leur crainte à
cet égard est par conséquent totalement injustifiée.
Il n'y a aucun motif pour considérer que leur situation juridique
est modifiée par la loi entreprise. En tout état de
cause, elles n'ont pas intérêt aux moyens qui ne sont
pas dirigés contre l'article 6,§3.
A.1.8. Les deuxième
et troisième requérants estiment que l'affirmation du
Conseil des ministres est étonnante. Pour établir qu'une
organisation déterminée n'est pas une organisation sectaire
nuisible au sens de la loi, ne faut-il pas au préalable avoir
analysé, scruté ou même inspecté cette
association ? A cet effet, ne faut-il pas, forcément, traiter
des données à caractère personnel relatives aux
membres de l'organisation en cause ?
Le second requérant souhaite encore ajouter qu'il est membre
de la Société belge des médecins anthroposophes.
Le troisième requérant a recours, dans sa profession,
à des méthodes issues de l'anthroposophie. Pour ce seul
motif, ils risquent déjà d'être affectés
directement et défavorablement par la norme entreprise. Selon
la jurisprudence constante de la Cour, les citoyens qui justifient
d'un intérêt à agir ne doivent pas justifier d'un
intérêt aux moyens qu'ils utilisent.
Quant au fond
A.2.1. En ordre
principal, les parties requérantes demandent l'annulation de
la loi du 2 juin 1998 portant création d'un Centre d'information
et d'avis sur les organisations sectaires nuisibles et d'une Cellule
administrative de coordination de la lutte contre les organisations
sectaires nuisibles. En ordre subsidiaire, elles demandent l'annulation
des articles 2 et 6, § 1er, 2°, 3° et 4°, §§
3 et 4, de la même loi.
Quant au premier moyen
A.2.2. Le premier
moyen, qui poursuit l'annulation totale de la loi, est pris de la
violation des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison
avec les articles 19, 22, 24 et 27 de la Constitution, avec les articles
8, 9 et 10 de la Convention européenne des droits de l'homme
et avec les articles 18 et 19 du Pacte international relatif aux droits
civils et politiques.
Il est libellé comme suit :
" En ce que, la loi du 2 juin 1998 institue un Centre d'information
et d'avis ainsi qu'une Cellule administrative dont les activités
sont destinées à lutter contre les organisations sectaires
nuisibles, que ces organisations sont définies comme ` tout
groupement à vocation philosophique ou religieuse, ou se prétendant
tel, qui, dans son organisation ou sa pratique, se livre à
des activités illégales dommageables, nuit aux individus
ou à la société ou porte atteinte à la
dignité humaine ' ; que le Centre a notamment pour mission
d'informer le public et toute personne qui en fait la demande et de
formuler, d'initiative ou à la demande de toute autorité
publique, les avis et les recommandations sur le phénomène
des organisations sectaires nuisibles; que le Centre est, à
cet égard, habilité à traiter des données
à caractère personnel relatives aux opinions et aux
activités philosophiques et religieuses visées à
l'article 6 de la loi du 8 décembre 1992 relative à
la protection de la vie privée à l'égard des
traitements de données à caractère personnel;
que le Centre peut s'entourer d'experts; qu'enfin, la Cellule administrative
de coordination est chargée d'établir une collaboration
étroite avec le Centre et d'exécuter les propositions
et recommandations du Centre;
Alors que, première branche, la loi porte ainsi atteinte, par
des moyens non pertinents ou disproportionnés, à la
liberté de penser, la liberté de religion et des cultes,
la liberté d'enseignement, la liberté d'association,
tels que ces droits et libertés sont garantis par diverses
dispositions de la Constitution belge et des dispositions de droit
supranational; qu'en particulier, en soi, il ne se justifie aucunement
d'instaurer, comme le fait la loi, une sorte d'organisme officiel
qui, de manière préventive, examinera, dans des conditions
au demeurant insuffisamment précisées, si une association,
un mouvement ou un quelconque groupement constituent une organisation
sectaire nuisible, entendue, de manière discriminatoire, uniquement
comme ` tout groupement à vocation philosophique ou religieuse
ou se prétendant tel, qui, dans son organisation ou sa pratique,
se livre à des activités illégales dommageables,
nuit aux individus ou à la société ou porte atteinte
à la dignité humaine ';
Que pour les parties requérantes, la loi du 2 juin 1998 méconnaît
des principes fondamentaux de l'Etat de droit, lequel requiert que
les activités dommageables soient circonscrites aux activités
illégales, et non aux activités qui pourraient nuire
aux individus, à la société ou porter atteinte
à la dignité humaine; que le constat du caractère
illégal ne peut être effectué que par le pouvoir
judiciaire, et non par une quelconque autre autorité tel un
Centre qui appartient au pouvoir exécutif; qu'enfin, le caractère
illégal ne peut être établi qu'à l'issue
d'un débat contradictoire et a posteriori et non, comme en
l'espèce, de manière préventive, sur la base
de suspicions ou d'une documentation dont l'objectivité n'est
pas assurée, au travers d'un ` label ' que décerne un
Centre qui n'offre pas les mêmes garanties qu'une procédure
juridictionnelle;
Et alors que, deuxième branche, en limitant les groupements
sectaires nuisibles à ceux qui ont ` une vocation philosophique
ou religieuse ou se prétendant tel ', il est créé,
sans justification raisonnable, une discrimination à l'égard
des autres groupements qui peuvent également se livrer à
des activités illégales dommageables, et dont les activités
sont contrôlées a posteriori (ex. : mouvements écologistes,
mouvements politiques, mouvements culturels, mouvements sportifs,
mouvements paramilitaires, militants divers, etc.);
Que, même si le critère de distinction est considéré
comme pertinent, il apparaît que celui-ci est disproportionné,
puisque l'organisation sectaire nuisible comprend tout groupement
à vocation philosophique ou religieuse qui, même sans
commettre des activités illégales dommageables, ` nuit
aux individus ou à la société ou porte atteinte
à la dignité humaine ';
Qu'ainsi, l'article 19 de la Constitution, selon lequel ` la liberté
des cultes, celle de leur exercice public ainsi que la liberté
de manifester ses opinions en toute matière sont garantis sauf
la répression des délits commis à l'occasion
de l'usage de ces libertés ' est violé, puisqu'une mesure
préventive est introduite alors que l'article 19 n'autorise
que des mesures répressives;
Que de même, l'article 27 de la Constitution garantit aux Belges
` le droit de s'associer ', étant entendu ` que ce droit ne
peut être soumis à aucune mesure préventive ';
que la loi attaquée crée pourtant une mesure préventive
exclusivement à charge des organisations sectaires nuisibles,
entendues comme groupements à vocation philosophique ou religieuse,
qui non seulement se livreraient à des pratiques illégales
dommageables, mais dont la seule existence nuirait aux individus ou
à la société ou porterait atteinte à la
dignité humaine;
Que le caractère préventif de l'intervention du Centre
et de la Cellule, attentatoire à la liberté de culte
et à la liberté d'association, est encore accentué
par la violation de l'article 22 de la Constitution qui garantit à
chacun ` le droit au respect de sa vie privée et familiale
'; qu'en effet, le Centre pourra traiter des données à
caractère personnel relatives aux opinions et aux activités
philosophiques et religieuses; que le traitement de ces données
est une fin en soi, alors que l'article 6 de la loi du 8 décembre
1992 relative à la protection de la vie privée à
l'égard des traitements de données à caractère
personnel précise que le traitement de ce type de données
n'est autorisé ` qu'aux fins déterminées par
ou en vertu de la loi ', et moyennant diverses garanties; qu'en l'espèce,
il ne s'agit plus de traiter des données relatives aux opinions
philosophiques et religieuses en vue d'un autre but, mais bien dans
le seul but de permettre l'étude du phénomène
des organisations sectaires nuisibles en Belgique et d'assurer l'accueil
et l'information du public;
Que les activités du Centre portent également atteinte
à la liberté d'enseignement, en ce que l'existence du
Centre met en péril la liberté d'organiser un enseignement,
dans la mesure où le Centre déterminera, par une sorte
de ` label ', quels sont les groupements à vocation philosophique
ou religieuse, ou se prétendant tels, qui soit se livreraient
à des activités illégales dommageables, soit
nuiraient aux individus ou à la société, ou encore,
porteraient atteinte à la dignité humaine et ces groupements
seront donc privés du droit d'organiser librement un enseignement,
compte tenu du ` label ' qui leur aura été ` décerné
'; qu'en soi, ce genre de classification, même non présenté
sous une forme de liste ou de relevé systématique des
organisations sectaires nuisibles, est incompatible avec les droits
et libertés garantis par la Constitution et les traités
internationaux applicables en droit interne belge ".
A.2.3.1. La première
branche du moyen est, selon le Conseil des ministres, irrecevable
parce qu'elle ne précise pas de quelle manière les articles
10 et 11 de la Constitution auraient pu être violés.
La critique formulée par les parties requérantes manque
également en fait ou est à tout le moins dépourvue
de fondement. Les activités du Centre n'ont nullement pour
but de constater officiellement des illégalités. La
tâche du Centre se limite à réaliser une étude
et à émettre des avis concernant le phénomène
des organisations sectaires nuisibles. Il ne relève pas des
missions du Centre de délivrer des " labels " ni
d'établir des listes d'organisations sectaires nuisibles. Le
Centre ne pourra jamais, d'initiative et de façon préventive,
empêcher certaines pratiques, ni agir contre ces pratiques d'une
manière ou d'une autre.
A.2.3.2. A l'estime
du Conseil des ministres, la deuxième branche du moyen est
également dépourvue de fondement. La différence
de traitement entre les groupements à vocation philosophique
et religieuse nuisibles et d'autres organisations nuisibles est objective
et raisonnablement justifiée. Nul ne saurait sérieusement
contester que la lutte contre le fléau des sectes nuisibles
est un objectif licite. Les établissements créés
par la loi entreprise ont précisément pour finalité
d'être des instruments utiles pour aider l'autorité dans
cette lutte et en même temps pour informer le public et aider
et guider les victimes. La particularité et la diversité
des formes sous lesquelles se manifestent les organisations sectaires
nuisibles compliquent fortement la tâche des services publics
dans leur lutte contre le phénomène. La loi entreprise
vise à contribuer à une approche plus intégrée
et scientifiquement fondée du problème. Une définition
limitative des organisations sectaires nuisibles était nécessaire
à cette fin. Le renvoi au caractère philosophique ou
religieux de ces organisations ou de celles qui se présentent
comme telles était inévitable. Les activités
de la commission d'enquête parlementaire ont démontré
à suffisance que ces nouveaux établissements seront
d'une grande utilité. La loi garantit suffisamment l'indépendance,
l'objectivité et l'expertise de ces établissements.
L'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a du reste
unanimement adopté, le 22 juin 1999, une recommandation qui
demande aux Etats membres de créer un centre d'information
national relatif aux sectes dangereuses.
La circonstance qu'une instance indépendante et composée
d'experts étudiera le phénomène des organisations
sectaires nuisibles et divulguera les informations y relatives ne
prive nullement les parties requérantes de la liberté
de culte ni d'exprimer leurs opinions. Le Centre n'a pas le pouvoir
de délivrer des " labels ".
En tout état de cause, il échet de constater que l'article
19 de la Constitution n'empêche nullement que des restrictions
soient apportées à la liberté de culte et d'expression,
dans la mesure où ces restrictions répondent aux exigences
posées par les articles 10.2 de la Convention européenne
des droits de l'homme et 19.3 du Pacte international relatif aux droits
civils et politiques. A supposer que la Cour constate que la loi entreprise
limite malgré tout les libertés garanties par l'article
19 de la Constitution, quod non, force est de constater que ces restrictions
sont justifiées à la lumière des dispositions
précitées. Le même raisonnement vaut pour les
limitations, dénoncées par les parties requérantes,
de la liberté d'association, du droit au respect de la vie
privée et de la liberté d'enseignement.
A.2.4.1. Le Gouvernement
de la Communauté française estime que la première
branche du moyen est irrecevable. L'exposé général
du moyen indique qu'il est pris de la violation des articles 10 et
11 de la Constitution, combinés avec d'autres dispositions
constitutionnelles ou internationales. Elle n'invoque toutefois qu'une
violation de la liberté de pensée, de religion et des
cultes, de la liberté d'association et de la liberté
d'enseignement. A l'exception de cette dernière liberté,
il s'agit là d'un ensemble de droits et libertés à
l'égard desquels la Cour n'est pas compétente. En ce
qui concerne la liberté d'enseignement, les parties requérantes
n'indiquent pas en quoi cette liberté serait violée.
Il résulte de l'article 17 de la Convention européenne
des droits de l'homme que nul ne peut se prévaloir d'un droit
expressément inscrit dans la Convention pour porter atteinte
à un autre droit fondamental qui y serait consacré.
Il n'appartient dès lors pas aux parties requérantes
de se prévaloir des libertés mentionnées, sans
d'ailleurs indiquer en quoi ces libertés seraient violées,
pour justifier que soit porté atteinte aux droits fondamentaux
tels que le droit à la dignité humaine, la protection
de la personne humaine et le droit de vivre dans une société
démocratique dans le respect de l'ordre public. La protection
des droits fondamentaux non seulement justifie mais exige même
du législateur qu'il étende la notion d'organisation
sectaire nuisible aux groupements dont les activités pourraient
nuire aux individus et à la société ou porter
atteinte à la dignité humaine.
Les organisations sectaires nuisibles portent gravement atteinte aux
droits fondamentaux, comme le fait apparaître le rapport de
la commission d'enquête parlementaire. Tout Etat démocratique
ayant l'obligation d'assurer le respect des droits fondamentaux, il
est proportionnel et adéquat de prévoir un Centre dont
l'unique objet est d'étudier les organisations sectaires nuisibles
et d'en informer le public. La mission du Centre est comparable à
celle du Centre pour l'égalité des chances et la lutte
contre le racisme. Le Centre a une mission d'information, d'assistance
et d'étude, mais n'a nullement pour objet de prendre des actes
qui auraient des conséquences juridiques pour les groupements
qualifiés de sectaires et de nuisibles. Le Centre n'a pas non
plus pour objet de forcer quelqu'un à abandonner ses convictions.
La création du Centre répond à la recommandation
de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe. Les groupements
qui ne seraient pas d'accord avec les informations diffusées
à leur égard disposent du reste toujours de recours
appropriés devant les juridictions judiciaires afin de mettre
un terme à une éventuelle erreur dans les renseignements
fournis par le Centre.
Le moyen est irrecevable dans la mesure où il invoque la violation
de la loi du 8 décembre 1992 relative à la protection
de la vie privée.
A.2.4.2. Le Gouvernement
de la Communauté française estime que la deuxième
branche du moyen est, elle aussi, dépourvue de fondement. Il
est non seulement justifié mais également nécessaire
de comprendre dans la définition des organisations sectaires
nuisibles les groupements qui nuisent aux individus et à la
société ou portent atteinte à la dignité
humaine. On n'aperçoit pas en quoi le caractère préventif
de la mesure attaquée consisterait. L'objectif du Centre est
d'étudier le phénomène des organisations sectaires
nuisibles, d'informer le public et d'assister les personnes qui le
désirent. Il ne s'agit nullement pour le Centre de prendre
des mesures visant à lutter contre les organisations sectaires,
à limiter la liberté de pensée, la liberté
des cultes, la liberté d'association, le droit au respect de
la vie privée et de la vie familiale ou encore la liberté
d'enseignement. Il ne s'agit pas non plus pour le Centre de réprimer
l'infraction qui serait commise à l'occasion de l'usage de
ces différentes libertés. Le but du Centre est de diffuser
un message de vigilance à l'attention du grand public et d'assister
les personnes en les informant sur les organisations, en les renseignant
sur leurs droits et en les assistant, si elles le désirent,
afin de faire valoir leurs droits. Le principe fondamental du contrôle
a posteriori est maintenu. Il est pour le moins raisonnable de circonscrire
le domaine d'activités du Centre aux organisations sectaires
nuisibles telles qu'elles ont été qualifiées
par le rapport de la commission d'enquête parlementaire.
La Cour n'est pas compétente pour contrôler une loi au
regard d'une autre loi. En tant que le moyen se prévaut de
la violation de l'article 6 de la loi du 8 décembre 1992, il
est irrecevable. En outre, l'article 6, § 1er, de la loi attaquée
ne saurait violer cette disposition.
Le moyen n'expose pas en quoi l'article 22 de la Constitution, lu
en combinaison avec les articles 10 et 11, serait violé. Ici
encore, le moyen doit être déclaré irrecevable.
Il n'est du reste pas question de discrimination dès lors que
le Centre doit se conformer à la loi du 8 décembre 1992
et que la loi entreprise prévoit également des garanties
supplémentaires propres telles que le respect du secret professionnel
qui s'impose également aux collaborateurs externes.
A.2.5.1. Les parties
requérantes estiment que l'exception d'irrecevabilité
soulevée par le Conseil des ministres et le Gouvernement de
la Communauté française à l'égard de la
première branche du premier moyen ne peut être admise.
Dans la première branche du premier moyen, les parties requérantes
soutiennent comme le fait également apparaître la longue
réponse des autres parties que la création du Centre
et de la Cellule implique en soi une violation des articles 10 et
11 de la Constitution, combinés avec un certain nombre d'autres
dispositions constitutionnelles et de droit international. Il est
en effet porté atteinte de manière discriminatoire et
disproportionnée à ces droits et libertés, puisque
leur bénéfice est réglé de manière
différente uniquement à l'encontre de ceux qui sont
considérés comme faisant partie d'une organisation sectaire
nuisible, du moins pour autant que cette organisation ait une vocation
philosophique ou religieuse ou se prétendant telle. Les missions
attribuées par la loi attaquée au Centre et à
la Cellule nécessitent en soi qu'ils s'occupent de manière
discriminatoire des groupes idéologiques ou philosophiques,
en particulier des groupes minoritaires. Rien ne garantit que le Centre
traitera de manière égale et objective les grandes religions
reconnues par la Constitution ou la loi par rapport au traitement
réservé aux groupes minoritaires. Rien, au demeurant,
ne permet de différencier, sans discrimination, le groupement
religieux ou spirituel de l'organisation sectaire.
A.2.5.2. Toutes
les dispositions constitutionnelles et de droit international mentionnées
assurent, selon les parties requérantes, un régime des
droits et libertés qui ne sanctionne que de manière
répressive et non préventive l'exercice des droits et
libertés fondamentaux. Alors que l'article 60 de la Convention
européenne des droits de l'homme n'exclut pas toute restriction
préventive aux libertés, en vertu de cette même
disposition, le système constitutionnel belge, plus favorable
à l'individu, doit prévaloir sur le système de
la Convention. Il convient d'avoir toujours à l'esprit qu'en
la matière, la liberté est la règle et le contrôle,
l'exception.
Lorsque des abus sont constatés en matière de liberté
d'association, de culte, de religion, de liberté de conscience
ou d'expression, seules des interventions a posteriori et d'ordre
juridictionnel sont admissibles dans un régime démocratique.
C'est pourquoi des procédures de droit pénal, de droit
civil ou encore de droit administratif ont été mises
en place pour sanctionner les pratiques illégales menées
par des groupes, indépendamment de leur caractère religieux,
ésotérique ou spirituel. L'élaboration d'une
législation spéciale en matière de sectes dangereuses
n'est pas la meilleure réponse à fournir au phénomène,
mais bien l'utilisation systématique et rigoureuse des dispositions
existantes. L'arsenal législatif belge est à cet égard
complet et fournit suffisamment de moyens de sanction compatibles
avec les droits de l'homme. Au besoin, on pourra créer des
nouvelles infractions qui seront applicables, sans distinction, à
tous les citoyens.
Selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de
l'homme, même dans un régime répressif, toutes
les incriminations en vue de lutter contre les abus de la liberté
religieuse, de penser ou de conscience ne sont pas admissibles. A
fortiori en va-t-il ainsi lorsque, comme en l'espèce, il s'agit
d'un régime préventif.
Dans sa recommandation n° 1178 (1992), le Conseil de l'Europe,
après avoir rappelé l'inopportunité d'une législation
majeure relative aux sectes qui risquerait de porter atteinte à
la liberté de conscience et de religion, a invité les
Etats membres à adopter des mesures éducatives, informatives,
protectrices des mineurs. Dans sa recommandation n° 1412 (1999),
le Conseil invite les Etats membres tout d'abord à faire preuve
de prudence, tant dans le vocabulaire utilisé que dans le choix
d'un mode d'action relatif aux actes des organisations sectaires.
Le Conseil de l'Europe recommande aux Etats membres de sanctionner
non pas des idées, mais uniquement des actes contraires à
des lois ou à des valeurs démocratiques. Le Conseil
invite néanmoins les Etats membres à créer, le
cas échéant, des centres nationaux d'information qui
doivent, et c'est essentiel, être indépendants de l'Etat.
Les principes susmentionnés n'ont pas été respectés
par la loi attaquée. Le Centre et la Cellule se voient confier
des missions qui, tenant compte de leur contexte d'exécution
en particulier le rôle des médias à cet égard
, n'offrent pas des garanties suffisantes en termes d'indépendance,
de méthodes utilisées non précisées en
l'espèce et de contrôle de leurs activités les
procédures font défaut -, en sorte que l'on peut conclure
à l'instauration d'une mesure préventive, discriminatoire
et disproportionnée à l'égard de la jouissance
des droits et libertés visée au moyen.
La comparaison avec le Centre pour l'égalité des chances
et la lutte contre le racisme ne saurait être retenue. La mission
de ce Centre est totalement différente dès lors qu'une
nette distinction est opérée entre, d'une part, l'information
et la promotion de la lutte contre le racisme en général,
qui est une tâche du Centre et, d'autre part, les sanctions
individuelles pour cause de violation des dispositions légales
en la matière, qui est une tâche de la Justice. A la
différence de certains actes inspirés par le racisme,
qui sont érigés en infraction, il n'existe rien de semblable
en matière de sectes.
A.2.5.3. Il est
certainement exact, à l'estime des parties requérantes,
que, comme le fait valoir le Conseil des ministres, des organisations
qui sont considérées à tort ou à raison
comme sectaires, ont souvent un caractère spirituel, religieux
ou ésotérique. La question se pose néanmoins
de savoir pourquoi d'autres groupements, qui n'ont pas ce caractère
mais qui sont tout autant nuisibles, ne font pas l'objet des investigations
du Centre. Si l'on soutient que les activités de ces organisations
seront contrôlées par les cours et tribunaux, il convient
de justifier pourquoi un mécanisme de contrôle identique
n'est pas suffisant à l'égard des organisations considérées
comme sectaires et nuisibles. La quasi-unanimité des juristes
considère que lorsque l'on s'en donne les moyens, le droit
commun est suffisant pour lutter contre de telles organisations.
Quant au deuxième moyen
A.3.1. En ordre
subsidiaire, les parties requérantes invoquent un deuxième
moyen, dirigé contre l'article 2, pris de la violation des
articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec les
droits et libertés garantis par les articles 19 et 27 de la
Constitution, l'article 9 de la Convention européenne des droits
de l'homme et l'article 18 du Pacte international relatif aux droits
civils et politiques.
Ce deuxième moyen est formulé en ces termes :
" En ce que l'article 2 de la loi du 2 juin 1998 précise
que ` pour l'application de la présente loi, on entend par
organisation sectaire nuisible tout groupement à vocation philosophique
ou religieuse ou se prétendant tel, qui dans son organisation
ou sa pratique, se livre à des activités illégales
dommageables, nuit aux individus ou à la société
ou porte atteinte à la dignité humaine. Le caractère
nuisible d'un groupement sectaire est examiné sur base des
principes contenus dans la Constitution, les lois, décrets
et ordonnances et les conventions internationales de sauvegarde des
droits de l'homme ratifiées par la Belgique ',
Alors que, première branche, en limitant les organisations
sectaires nuisibles aux groupements ` à vocation philosophique
ou religieuse ou se prétendant tels ', le législateur
a usé d'un critère inobjectif, non pertinent ou déraisonnable,
compte tenu du but et des effets de la mesure critiquée;
Qu'en particulier, s'il s'agit de lutter contre les groupements qui
se livrent à des activités illégales dommageables,
ce qui n'est pas contestable comme but, il apparaît que le droit
pénal fournit déjà à cet égard
tout un arsenal de mesures suffisantes, et respectueuses de la Constitution;
Que si le législateur estime devoir compléter ces mesures
pénales par une mesure préventive, telle la loi du 2
juin 1998, il lui appartient de ne pas opérer de discrimination
entre les groupements se livrant à des activités illégales
dommageables;
Qu'à cet égard, en se limitant aux seuls groupements
` à vocation philosophique ou religieuse, ou se prétendant
tels ', le législateur a usé d'un critère en
soi inobjectif et non pertinent;
Alors que, seconde branche, ce caractère inobjectif et non
pertinent se déduit aussi du fait que l'organisation sectaire
nuisible, à vocation philosophique ou religieuse, vise également
le groupement qui ` nuit aux individus ou à la société
ou porte atteinte à la dignité humaine '; qu'ainsi,
l'on vise les activités de groupements philosophiques ou religieux
qui ne constituent pas des activités illégales dommageables,
mais dont le Centre estimera qu'elles nuisent aux individus, à
la société, ou encore, qu'elles portent atteinte à
la dignité humaine; que certes, le caractère nuisible
d'un groupement sectaire devra être examiné sur la base
des principes contenus dans la Constitution, les lois, décrets
et ordonnances, et les conventions internationales de sauvegarde des
droits de l'homme ratifiées par la Belgique; qu'il est toutefois
impossible d'établir un catalogue des principes contenus dans
l'ensemble de ces dispositions; qu'il n'appartient pas à un
Centre d'établir semblable catalogue pour ensuite apprécier
si un groupement à vocation philosophique ou religieuse présente
un caractère nuisible;
Qu'en outre, semblable appréciation est incompatible avec les
principes de l'Etat de droit qui, en matière de droits et libertés,
identifient les activités dommageables aux seules activités
illégales, et non aux activités susceptibles de nuire
aux individus, à la société, ou de porter atteinte
à la dignité humaine; que le constat de ces illégalités
relève du contrôle a posteriori effectué par le
pouvoir judiciaire et non, comme en l'espèce, d'un contrôle
préventif exercé par un Centre rattaché au pouvoir
exécutif;
Alors que, troisième branche, il y a également lieu
de tenir compte des articles 19 et 27 de la Constitution qui garantissent
respectivement la liberté des cultes et la liberté de
manifester ses opinions en toute matière ainsi que la liberté
d'association, sauf la répression des délits commis
à l'occasion de l'usage de ces libertés, c'est-à-dire
sans que ces droits ne puissent être soumis à aucune
mesure préventive;
Qu'il est incontestable que, par la loi du 2 juin 1998, et spécialement
son article 2, la création d'un groupement à vocation
philosophique ou religieuse, la liberté des cultes qu'entend
respecter ce groupement, ainsi que la liberté de manifester
ses opinions en tant que membre de ce groupement, font l'objet d'une
mesure qui entrave préventivement sa liberté, puisque
ce groupement est susceptible, notamment en raison de son organisation
ou de sa pratique, d'être considéré comme une
organisation sectaire nuisible, soit parce qu'il se livre à
des activités illégales dommageables, soit parce qu'il
nuirait aux individus ou à la société ou porterait
atteinte à la dignité humaine, sur la base de l'opinion
que se ferait à cet égard le Centre d'information ainsi
que la Cellule administrative;
Qu'il en résulte que, de manière cumulative, l'article
2 de la loi du 2 juin 1998 méconnaît les libertés
de culte, d'opinion et d'association en recourant à un critère
discriminatoire qui entend ne soumettre que les groupements ` à
vocation philosophique ou religieuse ou se prétendant tels
' au champ d'activité du Centre d'information et d'avis sur
les organisations sectaires nuisibles. "
A.3.2. Le Conseil
des ministres observe que la définition du concept d'"
organisation sectaire nuisible " a été proposée
par la commission d'enquête parlementaire. La commission d'enquête
était parfaitement consciente de la difficulté de cerner
dans une seule définition le phénomène étudié.
Le but était de parvenir à une description qui soit
à la fois scientifiquement justifiée et juridiquement
fonctionnelle. Une étude linguistique et sociologique approfondie
a été réalisée à cette fin.
Il est apparu à suffisance des travaux de la commission d'enquête
parlementaire que de tous les groupements nuisibles, ce sont précisément
ceux " à vocation philosophique ou religieuse, ou se prétendant
tels " qui posent un problème particulier et exigent de
la part de l'autorité une approche spécifique, sans
que les droits et libertés fondamentaux des citoyens soient,
à cette occasion, restreints.
Il se justifie également de définir les " organisations
sectaires nuisibles " en prenant en compte non seulement leurs
activités illégales, mais également la nocivité
de leurs pratiques pour la dignité humaine et pour la société.
La notion de nocivité doit précisément être
interprétée à la lumière des libertés
et droits fondamentaux garantis par les normes juridiques internationales
et nationales. Dans la mesure où cette définition emporterait
une restriction de l'exercice des libertés fondamentales, quod
non, une telle limitation serait justifiée par la nécessité
de protéger les libertés fondamentales d'autrui.
A.3.3. Le Gouvernement
de la Communauté française estime que le moyen n'est
pas fondé, pour les mêmes motifs que ceux qu'il a fait
valoir à propos du premier moyen (A.2.4.1 et A.2.4.2). Contrairement
à ce qu'affirment les parties requérantes, il aurait
précisément été discriminatoire de limiter
l'information rassemblée et donnée par le Centre aux
seuls groupements qui se livreraient à des activités
illégales dont la gravité, mesurée sur une échelle
de valeur, pourrait être inférieure aux atteintes portées
à l'individu, à la société ou à
la dignité humaine.
La troisième branche n'est pas recevable parce que la Cour
n'est pas compétente pour veiller au respect des articles 19
et 27 de la Constitution.
A.3.4. Les parties
requérantes réfutent la défense du Conseil des
ministres et du Gouvernement de la Communauté française
en ce qui concerne la première branche du deuxième moyen,
pour les motifs exposés au A.2.5.3.
La deuxième branche du deuxième moyen critique le glissement
manifeste opéré par la loi attaquée. En effet,
il ne s'agit plus seulement d'apprécier si telle ou telle conduite
donnée est ou n'est pas illégale mais l'on souhaite
indiquer au public ce qui est socialement condamnable et ce qui est
moralement répréhensible. Une société
démocratique et respectueuse des droits individuels ne peut
que tolérer les conduites non illégales mais communément
jugées regrettables, même si l'on peut s'efforcer de
les transformer avec des moyens dignes des valeurs démocratiques.
La référence faite aux principes contenus dans la Constitution,
les lois, décrets et ordonnances et les conventions de sauvegarde
des droits de l'homme pour apprécier le caractère nuisible
est insuffisante. L'ensemble de ces textes se prête à
des appréciations divergentes. Dans ces circonstances, est-il
conforme à la Constitution de confier cette tâche au
Centre, sans fixer les méthodes de travail de celui-ci?
Quant au troisième moyen
A.4.1. En ordre
subsidiaire, les parties requérantes formulent un troisième
moyen, dirigé contre l'article 6, § 1er, 2°, 3°
et 4°, ainsi que contre l'article 6, § 4, et pris de la violation
des articles 10 et 11 de la Constitution, lus conjointement avec les
articles 19 et 27 de la Constitution.
Ce moyen est formulé en ces termes :
" En ce que le Centre est chargé :
- ` d'organiser un centre de documentation accessible au public '
(article 6, § 1er, 2°);
- ` d'assurer l'accueil et l'information du public et d'informer toute
personne qui en ferait la demande sur ses droits et obligations et
sur les moyens de faire valoir ces droits ' (article 6, § 1er,
3°);
- ` de formuler soit d'initiative, soit à la demande de toute
autorité publique, des avis et des recommandations sur le phénomène
des organisations sectaires nuisibles et en particulier sur la politique
en matière de lutte contre ces organisations ';
Et en ce que, ` les informations fournies par le Centre en réponse
à une demande du public se fondent sur les renseignements dont
ils disposent ' (article 6, § 4);
Alors que, les principes d'égalité et de non-discrimination,
et spécialement celui du respect des minorités philosophiques
ou religieuses au sens de l'article 11 de la Constitution, combinés
avec la liberté de culte et la liberté d'association,
ne permettent pas à un Centre quelconque de fournir au public
une documentation dont rien ne permet d'assurer le caractère
complet et impartial; que de même, ce Centre ne peut, sauf à
avoir examiné toutes les organisations existantes en Belgique,
- ce qui ne serait pas admissible (voir supra 1er moyen) -, fournir
de l'information au public et décerner un ` label ' sur le
caractère sectaire ou non, nuisible ou non, d'un groupement,
et spécialement uniquement des groupements à vocation
philosophique ou religieuse, quand bien même ceux-ci ne se livrent
à aucune activité illégale dommageable, mais
à la seule estime du Centre, nuiraient aux individus, à
la société ou porteraient atteinte à la dignité
humaine;
Qu'en soi, la diffusion de ce genre d'information n'est pas compatible
avec les droits et libertés, à défaut d'avoir
précisé que les organisations sectaires nuisibles (ou
supposées telles) pourront fournir toute documentation à
l'intention du Centre et du public, à défaut d'avoir
prévu que les mêmes organisations sont invitées
à participer à la collecte de cette documentation, ou
encore à défaut de les tenir informées du contenu
de l'information qui sera diffusée, etc.
Qu'à cet égard, le seul fait que le Centre puisse disposer
du compte-rendu sténographique intégral des auditions
publiques de la Commission d'enquête parlementaire de la Chambre
des représentants visant à élaborer une politique
en vue de lutter contre les pratiques illégales de sectes et
les dangers qu'elles représentent pour la société
ou pour les personnes, particulièrement les mineurs d'âge,
n'est pas une garantie d'objectivité, compte tenu du caractère
non contradictoire des activités développées
par la Commission d'enquête, et dont le rapport a suscité
beaucoup de discussions et controverses (ex. : la liste annexée
au rapport, mais non approuvée; les groupements n'étaient
pas spontanément invités par la Commission; celle-ci
n'a pas tenu de débats véritablement contradictoires,
mais bien des auditions successives, etc.);
Qu'enfin, le seul fait que les informations fournies par le Centre
en réponse à une demande du public doivent se fonder
sur les renseignements dont ils disposent, accroît certes l'exigence
d'objectivité mais n'offre aucune garantie; que la seule circonstance
que les informations ne peuvent être présentées
sous forme de listes ou relevés systématiques des organisations
sectaires nuisibles est en soi insuffisant, puisqu'il suffira de fournir,
au cas par cas, des informations à propos d'une organisation
dont celle-ci ne connaît aucunement la teneur et ne dispose
d'aucun droit pour en discuter le contenu s'il y a lieu;
Qu'en résumé, il n'appartient pas à un Centre
d'informer, de manière préventive, le public ou toute
personne qui en fait la demande, sur les éventuelles organisations
sectaires nuisibles, spécialement telles que définies
à l'article 2 de la loi du 2 juin 1998, à peine de méconnaître
les dispositions visées au moyen. "
A.4.2. Selon le
Conseil des ministres, le moyen manque en fait en ce que les parties
requérantes prétendent que le Centre, dans ses contacts
avec le public, pourrait octroyer des " labels " d'"
organisations sectaires nuisibles ". Le rôle du Centre
dans ses relations avec le public consiste en l'accueil et l'information.
Le Centre de documentation est une bibliothèque spécialisée,
ni plus ni moins, dans laquelle chacun pourra obtenir des informations
et de la documentation. Lorsque des personnes adressent des demandes
au Centre, celui-ci ne pourra y répondre que sur la base de
la documentation dont il dispose. Fait également partie de
cette information, le rapport sténographique intégral
des auditions publiques de la commission d'enquête parlementaire.
Ce rapport n'est pas un jugement. La crainte des parties requérantes
n'est pas fondée. En outre, le Centre peut informer les personnes
qui s'adressent à lui sur leurs droits et obligations ou les
renvoyer à d'autres instances. La loi contient suffisamment
de garanties en matière de compétence et d'objectivité.
Les avis et recommandations du Centre sont publics. Si ces avis devaient
contenir des éléments avec lesquels les parties requérantes
ne sont pas d'accord, celles-ci peuvent contester ces avis par toutes
voies de droit.
A.4.3. Selon le
Gouvernement de la Communauté française, le moyen n'est
pas recevable parce qu'il est pris de la violation des articles 19
et 27 de la Constitution et, en tant qu'il invoque les articles 10
et 11 de la Constitution, omet d'exposer en quoi ces dispositions
seraient violées et quelles seraient les catégories
visées.
Afin de remplir sa mission d'étude et d'information, le Centre
doit disposer impérativement de renseignements concernant les
organisations sectaires. Ces renseignements sont susceptibles d'émaner
d'experts et d'adeptes ou d'anciens adeptes. Rien n'interdit aux groupements
qui estiment qu'ils seraient considérés à tort
comme des organisations sectaires nuisibles de participer à
la collecte d'informations du Centre en lui fournissant tous les documents
qu'ils jugeraient utiles afin de l'éclairer parfaitement sur
les préceptes, l'organisation et les activités du groupement.
La création du Centre s'inscrit dans le même état
d'esprit que celui qui avait gouverné les travaux de la commission
d'enquête parlementaire, à savoir l'objectivité,
la vérité, la transparence, le pluralisme, le dépassement
des clivages obsolètes, la responsabilité. Le législateur
a prévu de nombreuses garanties afin de s'assurer du sérieux
de l'information fournie par le Centre et de lui permettre d'exercer
ses missions.
A.4.4. Les parties
requérantes constatent que le Conseil des ministres et le Gouvernement
de la Communauté française n'ont, à l'évidence,
pas la même lecture de la loi litigieuse. Le Conseil des ministres
en fait une lecture minimaliste réduisant les activités
du Centre à la création d'une bibliothèque accessible
au public, alors que le Gouvernement de la Communauté française
invite le Centre à travailler à l'instar de la commission
d'enquête parlementaire. Les méthodes utilisées
par la commission d'enquête parlementaire et la répercussion
de ses travaux par les médias étaient pour le moins
critiquables et ont été à juste titre critiquées.
A suivre le Conseil des ministres, de telles dérives ne seraient
plus possibles. Les garanties minimales exigées en la matière
ne sont toutefois pas fournies. En réalité, mais la
loi ne le dit pas, les seules informations qui puissent être
transmises ne pourraient être relatives qu'à des condamnations
judiciaires définitives de certains comportements, parce que
tel est le seul critère juridique de la nocivité. Pour
le surplus, toute information émanant d'un centre officiel
aurait pour effet, inévitable, d'être comprise comme
un label, à l'instar de la liste jointe au rapport de la commission
d'enquête parlementaire. Bien que le Conseil des ministres affirme
que le Centre se contentera uniquement d'étudier le phénomène
sectaire, il ajoute aussitôt que le Centre fournira des avis
sur les organisations sectaires nuisibles. Il s'agit donc bien là
de labels individuels. De même, bien que le Gouvernement de
la Communauté française assure que la mission du Centre
n'emporte aucune conséquence juridique, il admet que le Centre
fournira des informations sur les organisations sectaires nuisibles,
ce qui équivaut à un label de nocivité.
Quant au quatrième moyen
A.5.1. En ordre
subsidiaire, les parties requérantes formulent un quatrième
moyen, dirigé contre l'article 6, § 3, pris de la violation
des articles 10 et 11 de la Constitution lus conjointement avec l'article
22 de celle-ci et avec l'article 8 de la Convention européenne
des droits de l'homme.
Ce moyen est formulé comme suit :
" En ce que, pour l'accomplissement des missions visées
à l'article 6, § 1er, 1° et 3°, c'est-à-dire
l'étude du phénomène des organisations sectaires
nuisibles ainsi que l'accueil et l'information du public et l'information
de toute personne qui en fait la demande, le Centre est habilité
à traiter des données à caractère personnel
relatives aux opinions et aux activités philosophiques et religieuses
visées à l'article 6 de la loi du 8 décembre
1992 relative à la protection de la vie privée à
l'égard des traitements de données à caractère
personnel,
Alors que, le droit à la vie privée est garanti à
toutes les personnes physiques, en ce compris celles qui décident
d'être membre d'un groupement notamment à vocation philosophique
ou religieuse; qu'en exécution des articles 10, 11 et 22 de
la Constitution, la loi du 8 décembre 1992 a précisé,
en son article 6, que les données à caractère
personnel ayant trait aux opinions philosophiques ou religieuses,
ne pouvaient être traitées que dans le cadre de finalités
déterminées par ou en vertu de la loi (article 6 de
la loi du 8 décembre 1992 relative à la protection de
la vie privée à l'égard des traitements de données
à caractère personnel, avant sa modification par la
loi du 11 décembre 1998);
Qu'il apparaît que le Centre traitera toutes les données
à caractère personnel pour ensuite faire le tri parmi
celles-ci entre celles qui relèvent des opinions philosophiques
et religieuses; que cette possibilité de traiter, sans limites,
de toutes les données, est incompatible avec les finalités
qui ont toujours présidé à la loi du 8 décembre
1992 et avec le respect dû, sauf exceptions, à la vie
privée;
Qu'enfin, la loi du 11 décembre 1998 transposant la directive
95/46/CEE du 24 octobre 1995 du Parlement européen et du Conseil
relative à la protection des personnes physiques à l'égard
des traitements de données à caractère personnel
et à la libre circulation de ces données modifie la
loi du 8 décembre 1992, spécialement en remplaçant
l'article 8 de cette dernière loi; que, désormais, `
le traitement de données à caractère personnel
relatives à des litiges soumis aux cours et tribunaux ainsi
qu'aux juridictions administratives, à des suspicions, des
poursuites ou des condamnations ayant trait à des infractions,
ou à des sanctions administratives ou des mesures de sûreté,
est interdit '; qu'il en résulte que le traitement de données
relatives à des suspicions est désormais interdit; que,
sur ce point, la loi du 2 juin 1998 opère une discrimination
flagrante, puisqu'elle permet de traiter des données à
caractère personnel relatives aux opinions et à l'activité
philosophique en tant que tel, ainsi qu'en cas de suspicion d'activités
illégales dommageables, d'activités nuisibles aux individus
ou à la société, ou d'atteinte à la dignité
humaine (combinaison des articles 6, § 3 et 2 de la loi du 2
juin 1998);
Que de surcroît, sachant que l'article 6, § 4, dispose
que ` les informations fournies par le Centre en réponse à
une demande du public se fondent sur les renseignements dont il dispose
( . ) ', il apparaît que le Centre est habilité à
fournir au public, en réponse à une demande, des données
à caractère personnel relatives aux opinions et aux
activités philosophiques, correspondant parfois uniquement
à des simples suspicions du seul fait d'appartenir à
un groupement à vocation philosophique ou religieuse qui pourrait
se livrer à des activités illégales dommageables,
nuire aux individus ou à la société ou porter
atteinte à la dignité humaine;
Qu'il apparaît donc que la mesure, en portant atteinte de manière
disproportionnée au respect dû à la vie privée,
viole les dispositions visées au moyen. "
A.5.2. Le Conseil
des ministres observe que la Cour n'est pas compétente pour
contrôler la disposition entreprise au regard de directives
européennes ou d'une loi belge plus ancienne. En tout état
de cause, la disposition entreprise ne déroge pas aux dispositions
de la loi du 8 décembre 1992 et à la directive européenne
citée par les parties requérantes.
Le droit au respect de la vie privée garanti par l'article
22 de la Constitution n'est pas absolu, dès lors qu'il est
limité par les cas et les conditions fixés par la loi.
L'article entrepris contient une restriction légale de ce genre.
La loi offre suffisamment de garanties pour infirmer toutes les critiques
des parties requérantes à cet égard. L'article
entrepris peut résister au contrôle de proportionnalité
de l'article 8.2 de la Convention européenne des droits de
l'homme.
Quant à l'article 8 de la loi du 8 décembre 1992, il
convient d'observer que l'interdiction de recueillir des données
à caractère personnel sur la base de présomptions
n'est pas applicable lorsque le traitement de ces informations est
nécessaire pour atteindre un but poursuivi par la loi. En l'espèce,
la disposition entreprise vise à contribuer à la lutte
contre les sectes nuisibles. L'importante contribution du Centre serait
annihilée si celui-ci n'était pas en mesure de traiter
les données à caractère personnel. En tout état
de cause, il y a lieu de constater que le Centre ne peut jamais divulguer
au public, sur la base de simples présomptions, des informations
concernant des personnes déterminées. En effet, il ressort
clairement de l'article 6, § 4, que le public ne peut recevoir
d'informations que sur des organisations et jamais sur des personnes.
A.5.3. Selon le
Gouvernement de la Communauté française, le moyen, ne
se plaignant que d'une violation des lois du 8 décembre 1992
et du 11 décembre 1998, n'est pas recevable. Il en va d'autant
plus ainsi que les parties requérantes n'indiquent nullement
en quoi consiste la discrimination dont elles se plaignent.
En tout état de cause, la loi peut apporter certaines limitations
au droit au respect de la vie privée et familiale consacré
tant par l'article 22 de la Constitution que par l'article 8 de la
Convention européenne des droits de l'homme. Tel est notamment
le cas lorsque, comme en l'espèce, d'autres droits fondamentaux
ou l'ordre public sont en cause. La loi attaquée n'emporte
pas de limitations plus étendues que celles déjà
contenues dans la loi du 8 décembre 1992, puisque le Centre
sera tenu de se conformer à cette loi. Il existe en outre les
garanties supplémentaires des articles 10 et 6, § 4.
A.5.4. Selon les
parties requérantes, le moyen n'est à aucun égard
irrecevable, puisqu'il vise une discrimination opérée
dans le traitement des données à caractère personnel
qui touchent à la vie privée, selon que l'on soit suspecté
ou non d'appartenir à une organisation sectaire nuisible. La
référence faite aux lois des 8 décembre 1992
et 11 décembre 1998 ne vise, bien évidemment pas, à
indiquer que la loi litigieuse méconnaît une autre loi,
mais bien à montrer, par contraste, comment dans ces lois,
le traitement de données à caractère personnel
vise des finalités bien précises, et ce contrairement
à la loi attaquée. Le principe de finalité constitue
la pierre angulaire de ces systèmes de protection. Pour les
données sensibles, l'interdiction de traitement est, sauf exception
pour des raisons d'intérêt général, la
règle. S'il est légitime, en l'espèce, de vouloir
lutter contre les sectes nuisibles, il apparaît cependant que
les méthodes qui seront utilisées par le Centre ne sont
pas admissibles. Le Conseil des ministres admet expressément,
dans son mémoire, qu'en réalité, le Centre devrait
traiter, de manière discriminatoire, les données personnelles
de toute la population qui pourrait appartenir à un groupement
à vocation philosophique ou religieuse, pour déterminer
si, ut singuli, chaque personne déterminée ne peut pas
être considérée, par ses activités ou ses
convictions, comme accomplissant, seule ou de manière organisée,
des actes sectaires nuisibles, pour ensuite, en cas de constat négatif,
décider de ne plus traiter les données de ces personnes.
On ne peut mieux reconnaître que la finalité poursuivie,
à savoir les informations sur les personnes et organisations
sectaires nuisibles, est une finalité excessivement large,
qui n'offre pas les garanties minimales requises et qui est en contradiction
avec les principes les plus fondamentaux d'un Etat démocratique.
La circonstance que le Centre opère sous couvert du secret
professionnel n'est pas en soi suffisante, puisque le Centre sera
amené à donner des informations au public. Contrairement
à ce que soutient le Conseil des ministres, les travaux préparatoires
ne contiennent pas une distinction très nette entre les informations
sur des personnes et celles concernant des organisations sectaires
nuisibles. Tout au moins, la loi litigieuse elle-même ne limite
pas cette information aux seules organisations. En réalité,
on constate qu'il s'est opéré un glissement de l'étude
du phénomène sectaire vers l'analyse des organisations
sectaires et, ensuite, vers le traitement de données à
caractère personnel.
- B
Quant à la recevabilité
En ce qui concerne la première partie requérante
B.1.1. Le Conseil
des ministres estime que le recours de la première partie requérante
est irrecevable étant donné qu'il n'est pas établi
que la décision d'introduire le recours a été
prise régulièrement par l'organe compétent pour
ce faire et parce qu'il ne serait pas satisfait à certaines
formalités prescrites par la loi du 27 juin 1921 " accordant
la personnalité civile aux associations sans but lucratif et
aux établissements d'utilité publique " (ci-après
: la loi relative aux a.s.b.l.), en particulier aux formalités
visées aux articles 9 et 11.
B.1.2. Aux termes
de l'article 3 de la loi relative aux a.s.b.l., l'association possède
la personnalité juridique à compter du jour où
les statuts et l'identité des membres du conseil d'administration
sont publiés aux annexes du Moniteur belge.
Bien que l'article 26 de la loi relative aux a.s.b.l. renvoie tant
à l'article 3 qu'aux articles 9, 10 et 11 de cette loi, il
convient de faire une distinction entre les conditions posées
par l'article 3, qui sont indispensables en vue d'obtenir la personnalité
juridique, et les prescriptions des articles 9, 10 et 11, dont le
non-respect ne met pas en cause la personnalité juridique,
mais bien l'opposabilité de celle-ci aux tiers.
La partie requérante a joint à sa requête une
copie de ses statuts ainsi que de la liste des administrateurs nommés
lors de l'assemblée générale extraordinaire du
28 mai 1972, tels qu'ils ont été publiés aux
annexes du Moniteur belge du 9 mai 1974.
Les pièces du dossier révèlent que les conditions
de publication contenues à l'article 3 de la loi relative aux
a.s.b.l. ont été remplies et que l'association avait
par conséquent la personnalité juridique lorsqu'elle
a introduit le recours en annulation.
Il apparaît certes que les administrateurs de l'association,
dont les noms ont été publiés en dernier lieu
aux annexes du Moniteur belge du 9 juillet 1998, ne sont pas tous
les mêmes que les personnes qui faisaient partie du conseil
d'administration qui a décidé le 11 mai 1999 d'introduire
le recours. Ce constat ne prive toutefois pas la partie requérante
de sa personnalité juridique.
B.1.3. Toute omission
relative aux exigences de publication contenues dans les articles
9, 10 et 11 de la loi relative aux a.s.b.l. n'a pas nécessairement
pour effet que l'association ne puisse se prévaloir de sa personnalité
juridique vis-à-vis des tiers. Mais les tiers peuvent à
juste titre refuser de reconnaître l'association comme personne
morale distincte lorsqu'il n'est pas satisfait aux exigences essentielles
de ces articles.
En particulier, les tiers peuvent demander que l'on certifie, sur
la base de la publication de la nomination, de la démission
ou de la révocation des administrateurs, conformément
à l'article 9, alinéa 2, de la loi relative aux a.s.b.l.,
l'identité des membres du conseil d'administration qui sont
en principe compétents en vertu de l'article 13 de la loi relative
aux a.s.b.l. pour représenter l'association. Il s'ensuit que
les parties à l'instance peuvent demander qu'une association
sans but lucratif agissant en tant que partie demanderesse démontre
avoir fait preuve de la diligence nécessaire pour la publication,
aux annexes du Moniteur belge, de l'identité des membres du
conseil d'administration qui ont décidé d'engager la
procédure.
B.1.4. Afin de
prouver qu'elle s'est conformée à la condition prévue
par l'article 9, alinéa 2, de la loi relative aux a.s.b.l.,
la première partie requérante a annexé à
son mémoire en réponse un extrait du procès-verbal
de l'assemblée générale extraordinaire du 21
avril 1999 qui a nommé les actuels administrateurs, ainsi que
la copie d'une lettre du 22 avril 1999 adressée au Moniteur
belge lui demandant de publier la nouvelle composition du conseil
d'administration, une facture du 28 octobre 1999 par laquelle les
services du Moniteur belge demandent à l'association de procéder
au paiement et la preuve du paiement effectif en date du 10 novembre
1999.
Il résulte de ce qui précède que la partie requérante
a fait preuve de la diligence nécessaire pour la publication,
aux annexes du Moniteur belge, de l'actuelle composition du conseil
d'administration dans le délai légal prescrit et que
le retard qui s'est manifesté ne saurait lui être imputé.
B.1.5. Il apparaît
en outre que les pièces émanant de l'association, en
particulier la décision du 11 mai 1999 d'introduire le recours,
mentionnent effectivement la dénomination de l'association
et portent la mention " association sans but lucratif ",
même si cette mention ne figure pas, comme l'exige l'article
11 de la loi relative aux a.s.b.l., immédiatement avant ou
après la dénomination. La requête non plus ne
laisse planer aucun doute quant à l'identité et à
la forme juridique de la partie requérante.
B.1.6. Les exceptions
soulevées par le Conseil des ministres ne peuvent être
admises.
B.1.7. Le Conseil
des ministres conteste l'intérêt de la première
partie requérante à son recours. L'association ne pourrait
être affectée défavorablement et directement dans
sa situation par la loi entreprise, dès lors que le champ d'action
de celle-ci est strictement limité aux organisations sectaires
nuisibles et que seul ce genre d'organisations peuvent être
affectées directement et défavorablement dans leur situation
par la loi entreprise.
B.1.8. Lorsqu'une
association sans but lucratif se prévaut d'un intérêt
collectif, il est requis que son objet social soit d'une nature particulière
et, dès lors, distinct de l'intérêt général;
que cet intérêt ne soit pas limité aux intérêts
individuels des membres; que la norme entreprise soit susceptible
d'affecter l'objet social; que celui-ci soit réellement poursuivi,
ce qui doit ressortir d'activités concrètes et durables
de l'association, aussi bien dans le passé que dans le présent.
B.1.9. Aux termes
de l'article 2 de ses statuts, l'association a pour objet :
" de promouvoir la connaissance de l'homme et du monde selon
les méthodes de la science spirituelle inaugurée par
Rudolf Steiner sous le nom d'anthroposophie.
[...] "
A cette fin, elle peut organiser toute espèce d'activité
telle que conférences, groupes d'études, réunions
et cours nationaux et internationaux, expositions et spectacles. Elle
peut aussi éditer des livres, brochures, revues et journaux.
L'association a une vocation philosophique et doit être considérée
comme la branche belge de la " société anthroposophique
universelle " fondée le 24 décembre 1923 par Rudolf
Steiner à Dornach (Suisse) (article 3 de ses statuts).
B.1.10. La partie
requérante relève qu'elle est mentionnée dans
le " tableau synoptique " des organisations repris dans
le rapport de la commission d'enquête parlementaire de la Chambre
" visant à élaborer une politique en vue de lutter
contre les pratiques illégales des sectes et le danger qu'elles
représentent pour la société et pour les personnes,
particulièrement les mineurs d'âge " (Doc. parl.,
Chambre, 1995-1996, n° 313/8, p. 228) - rapport qui est mis à
la disposition du Centre constitué par la loi entreprise (article
8, § 2) -, que l'anthroposophie, dans une brochure intitulée
" Gourou, gare à toi ! J'ai ma liberté de penser
. ", éditée sous la responsabilité du cabinet
de la ministre-présidente du Gouvernement de la Communauté
française, est qualifiée de secte ésotérique
transmettant un enseignement secret, des pouvoirs magiques (p. 7)
et qui serait responsable du décès d'un enfant traité
du cancer selon les préceptes de la secte (p. 13) et qu'elle
est considérée en outre comme une secte par certains
médias.
Bien que le " tableau synoptique " précité
ne constitue, selon la commission d'enquête parlementaire, nullement
une appréciation quant au caractère sectaire ou non
des organisations mentionnées et a fortiori quant à
leur caractère nuisible ou non (Doc. parl., Chambre, 1995-1996,
n° 313/8, p. 227) et bien que la Communauté française
se soit vu interdire provisoirement, par ordonnance du Tribunal de
première instance de Bruxelles du 24 avril 1999, de diffuser
la brochure en question tant que les passages litigieux n'ont pas
été supprimés et qu'elle ait été
obligée de supprimer ces mêmes passages de son site internet,
la partie requérante démontre qu'elle pourrait de ce
fait attirer l'attention particulière du Centre comme de la
Cellule, ne fût-ce que pour conclure qu'elle ne répond
pas aux critères énumérés à l'article
2 de la loi entreprise et qu'elle ne doit dès lors plus être
examinée.
L'objet social de la première partie requérante risque
par conséquent d'être affecté par la loi entreprise.
Comme elle démontre qu'elle satisfait aux autres critères
mentionnés au B.1.8, son recours est recevable.
En ce qui concerne les deuxième et troisième parties
requérantes
B.1.11. Le Conseil
des ministres estime que les deuxième et troisième requérants
ne justifient pas de l'intérêt requis. Ils feraient une
lecture erronée de l'article 6, § 3, de la loi entreprise,
disposition qui doit être lue en combinaison avec l'article
2, et ils n'auraient en tout état de cause pas intérêt
aux moyens qui ne sont pas dirigés contre l'article 6, §
3.
B.1.12. L. Vandecasteele
et J. Borghs agissent simultanément comme individus et comme
membres de la première partie requérante. L. Vandecasteele
ajoute qu'il est membre de l'Association belge des médecins
anthroposophiques, également mentionnée dans le "
tableau synoptique " susdit, sous la rubrique " activités
liées ". J. Borghs est aussi président de l'a.s.b.l.
Widar Stichting, qui a pour objet " d'élaborer, de déployer
et de stimuler des activités pédagogiques salutaires
et sociothérapeutiques selon les fondements et conceptions
de la pédagogie salutaire, inaugurée par Rudolf Steiner
".
B.1.13. Si, pour
les raisons exposées au B.1.10, le Centre envisageait d'examiner
la première partie requérante, il n'est pas exclu qu'il
s'intéresse aussi aux activités des deuxième
et troisième requérants, qui sont respectivement président
et trésorier de la première partie requérante
et membres d'une organisation connexe, d'autant que le Centre est
habilité à traiter, sous certaines conditions, par application
de l'article 6, § 3, des données à caractère
personnel relatives aux opinions et aux activités philosophiques
et religieuses.
Ils peuvent dès lors également être affectés
directement et défavorablement dans leur situation, non seulement
par l'article 6, § 3, mais également par les autres dispositions
de la loi entreprise. Leur recours est lui aussi recevable.
Sur le fond
Quant au premier moyen
B.2.1. Le premier
moyen, qui poursuit l'annulation totale de la loi, est pris de la
violation des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison
avec les articles 19, 22, 24 et 27 de la Constitution, avec les articles
8, 9 et 10 de la Convention européenne des droits de l'homme
et avec les articles 18 et 19 du Pacte international relatif aux droits
civils et politiques.
Dans la première branche du moyen, les parties requérantes
soutiennent en substance que les dispositions précitées
sont violées au motif qu'il est institué un organe officiel
chargé de déterminer, à titre préventif,
si certaines associations sont des organisations sectaires nuisibles,
alors que des activités illégales ne peuvent être
réprimées qu'a posteriori par le pouvoir judiciaire.
Dans la seconde branche du moyen, elles soutiennent en substance que
les dispositions précitées sont violées au motif
que seuls des groupements à vocation philosophique ou religieuse
ou se prétendant tels sont visés par la loi entreprise,
alors que d'autres groupements qui se livrent également à
des activités illégales dommageables peuvent uniquement
être contrôlés a posteriori.
B.2.2. Le Conseil
des ministres estime que la première branche du moyen est irrecevable
puisqu'elle ne précise pas en quoi les articles 10 et 11 de
la Constitution seraient violés. Selon le Gouvernement de la
Communauté française, cette même branche est irrecevable
parce qu'elle invoquerait uniquement la violation d'une série
de libertés, au regard desquelles la Cour ne peut exercer un
contrôle direct, alors qu'il n'est pas indiqué en quoi
les articles 10, 11 et 24 de la Constitution, au regard desquels la
Cour peut effectivement exercer un contrôle, seraient violés.
B.2.3. Pour satisfaire
aux exigences de l'article 6 de la loi spéciale du 6 janvier
1989 sur la Cour d'arbitrage, les moyens de la requête doivent
faire connaître, parmi les règles dont la Cour garantit
le respect, celles qui seraient violées ainsi que les dispositions
qui violeraient ces règles et exposer en quoi ces règles
auraient été transgressées par ces dispositions.
B.2.4. Dans la
première branche du moyen, les parties requérantes allèguent
que la loi entreprise viole dans son ensemble les articles 10 et 11
de la Constitution, lus en combinaison avec une série d'autres
dispositions de la Constitution et de conventions internationales,
au motif qu'elle instaurerait de manière discriminatoire un
contrôle préventif, exclusivement à l'égard
de certaines organisations et non à l'égard d'autres
organisations précisées au moyen.
Une comparaison étant établie par les parties requérantes
entre elles et d'autres catégories d'associations, l'appréciation
de cette branche du moyen relève de la compétence de
la Cour.
B.2.5. L'exception
d'irrecevabilité pour violation de l'article 6 de la loi spéciale
du 6 janvier 1989 ne peut être admise. La manière détaillée
dont il a été répondu, dans les mémoires,
à cette branche du moyen fait d'ailleurs apparaître qu'en
se basant sur l'exposé des faits et du moyen contenu dans la
requête, le Conseil des ministres et le Gouvernement de la Communauté
française ont été en mesure de faire valoir leurs
moyens de défense dans un seul mémoire et dans le délai
prescrit à peine d'irrecevabilité.
B.2.6. Selon les
travaux préparatoires de la loi entreprise, celle-ci entend
exécuter une recommandation de la commission d'enquête
parlementaire précitée ainsi qu'une recommandation de
l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe.
Le Centre institué par la loi entreprise entend garantir la
continuité des activités de la commission précitée
dans l'esprit qui a caractérisé les activités
de la commission, c'est-à-dire objectivité, vérité,
transparence, pluralisme, responsabilité et dépassement
des clivages obsolètes (Doc. parl., Chambre, 1996-1997, n°
1198/1, pp. 1 et 2; n° 1198/4, p. 6).
B.2.7. Dans la
justification de l'amendement du Gouvernement à la proposition
de loi " visant à créer un observatoire fédéral
des sectes ", qui a conduit à la loi présentement
attaquée, il est considéré ce qui suit :
" Le gouvernement souscrit aux recommandations formulées
par la Commission d'enquête parlementaire et est conscient du
fait que les activités de la Commission ne constituent que
la première étape vers la création d'une structure
permanente qui poursuivra l'observation du phénomène
des groupements sectaires nuisibles et de leurs pratiques, ce dans
l'intérêt tant de la société que de l'individu.
En outre, il convient de veiller à ce que ledit phénomène
ne soit pas uniquement suivi, mais que les actions nécessaires
soient entreprises à son égard.
[...]
Afin de délimiter le champ d'action des différentes
structures, il convient en premier lieu d'introduire par loi une définition
du concept de groupement sectaire nuisible. A cet égard, on
se base sur la définition formulée par la Commission
d'enquête, à savoir un groupement à vocation philosophique
ou religieuse, ou se prétendant tel, qui, dans son organisation
ou sa pratique, se livre à des activités illégales
dommageables, nuit aux individus ou à la société
porte atteinte à la dignité humaine.
Il est clair que la présente définition ne vaut que
dans le cadre de la présente loi.
Le caractère nuisible d'un groupement sectaire sera examiné
à la lumière des lois en vigueur en Belgique. Le rapport
de la Commission d'enquête fournit d'ailleurs suffisamment de
points de repère pour l'interprétation de la notion
de ` pratiques nuisibles '. Nous pouvons ainsi, de manière
non limitative, donner les exemples suivants :
- l'influence par le biais de moyens psychologiques intensifs. Dans
ce contexte, il est fréquemment fait usage stratégies
de persuasion faisant fi de tout libre arbitre (Rapport, pp. 141-142);
- le fait d'influencer la manière dont doivent être traités
sur le plan médical les malades, allant jusqu'à l'interdiction
d'un traitement médical (Rapport, pp. 160-162);
- l'incitation à rompre avec son entourage (Rapport, 166);
- l'attitude des sectes à l'égard des enfants (négligence
la vie familiale, châtiments corporels) (Rapport, p. 169 suivantes);
- abus de régimes fiscaux et/ou de la forme d'organisation
du groupement (Rapport, p. 179 et suivantes).
Ces exemples illustrent la manière dont les groupements sectaires
nuisibles tentent d'intervenir au niveau tant de l'individu que de
la société afin d'y accroître leur influence.
La structure proposée par le gouvernement est donc double et
répond aux recommandations formulées dans le rapport
de la Commission d'enquête. Cette structure se compose :
- d'un Centre d'information et d'avis sur les organisations sectaires
nuisibles;
- d'une Cellule administrative de coordination de la lutte contre
les organisations sectaires nuisibles.
Ces deux organes ont chacun des compétences spécifiques
qui sont complémentaires.
Le Centre d'information et d'avis correspond en fait à l'organisme
que la Commission d'enquête a dénommé ` observatoire
'. Il constitue le lien entre le Parlement et le pouvoir exécutif
en ce qui concerne les organisations sectaires nuisibles. Sa composition
reflète les préoccupations des Chambres législatives,
d'une part, et du Gouvernement, d'autre part.
Le Centre doit pouvoir travailler en toute indépendance de
manière objective et impartiale. Il aura pour mission d'émettre
des avis, de formuler des propositions et des recommandations à
l'intention des instances compétentes concernant les organisations
sectaires nuisibles. Le Centre présentera tous les deux ans
un rapport sur ses activités.
Le rôle du Centre est double. Il a d'abord une mission d'étudier
d'un point de vue multidisciplinaire le phénomène des
organisations sectaires nuisibles et de suivre de très près
les développements dans ce domaine.
Tant la société que l'individu doivent être protégés
de manière efficace contre pareils groupements et leurs pratiques.
Cette protection ne peut se réaliser que par le biais d'une
sensibilisation du citoyen. Par conséquent le Centre organisera
un centre de documentation relatif aux groupements sectaires nuisibles,
accessible au public.
Il ne revient pas au Centre de rendre publics des listes ou des relevés
systématiques des organisations sectaires nuisibles. Cela n'empêche
évidemment pas que le Centre, à demande du public, donne
des informations, selon les renseignements dont il dispose, sur les
aspects nuisibles des organisations philosophiques ou religieuses
ni qu'il procure des informations sur les activités des organisations
qu'il considère comme nuisibles. Le terme ` nuisible ' renvoie
à la définition de l'article 2 de l'amendement.
[...]
Le Centre sera également le point de contact pour le public.
Le citoyen désirant sur le plan individuel des renseignements
sur des organisations sectaires nuisibles ou qui a été
victime des pratiques de pareilles organisations, doit pouvoir s'adresser
à un point central. Sur ce plan le Centre aura un rôle
important en ce qui concerne l'accueil du public. Cela se fera en
premier ordre par le développement d'un centre de documentation
relatif au domaine de ses compétences, mais également
par l'octroi d'une assistance juridique à ceux qui le demandent.
Dans le domaine de l'assistance et de la guidance des victimes le
Centre aura pour mission d'orienter les personnes. Le Centre devra
réaliser une collaboration étroite avec les services
et institutions spécialisés dans ce domaine, qui ressort
d'ailleurs de la compétence des Communautés et qui ont
été agréés ou reconnus par les autorités
fédérées. Il est recommandé que des accords
de coopération portant sur cette matière soient conclus
avec les Communautés.
Enfin il va de soi que le Centre doit être assuré d'un
afflux permanent d'informations. Celui-ci proviendra d'une part des
études et des enquêtes que le Centre fera réaliser,
ainsi que des divers services actifs sur le terrain. L'élaboration
des protocoles avec les divers services, en ce qui concerne la nature
des informations qui seront communiquées et la manière
dont elles seront échangées, semble s'imposer.
Le gouvernement estime qu'il n'est pas nécessaire d'accorder
la personnalité civile au Centre. Les personnes lésées
et victimes des pratiques d'une organisation sectaire nuisible peuvent
elles-mêmes introduire un recours devant les cours et tribunaux
pour agir à leur encontre. Elles peuvent, à cette fin,
recourir aux services spécialisés en matière
d'aide aux victimes.
Parallèlement au Centre d'information et d'avis, il est créé
une Cellule administrative de coordination, présidée
par le ministre de la Justice. La présente loi reprend uniquement
les missions de cette Cellule. Quant à la composition et aux
modalités pratiques, elles seront fixées par un arrêté
royal délibéré en Conseil des ministres.
En principe, cette Cellule de coordination deviendra un organe quasi
permanent, capable de donner une vue d'ensemble de la problématique
sous un angle multidisciplinaire. De plus, elle pourra, pour accomplir
les missions qui lui sont confiées, faire appel à des
experts et établir des contacts avec les différents
services et institutions actifs dans le domaine visé. A cet
égard, elle aura un rôle de coordination et de stimulation
des autorités.
L'action menée contre les organisations sectaires nuisibles
et leurs pratiques sera rendue visible par le fonctionnement de la
Cellule de coordination. " (Doc. parl., Chambre, 1996-1997, n°
1198/4, pp. 6-9)
B.2.8. Les travaux
préparatoires de la loi attaquée comme les travaux de
la commission d'enquête parlementaire précitée
et les recommandations 1178 (1992) " relative aux sectes et aux
nouveaux mouvements religieux " et 1412 (1999) " relative
aux activités illégales des sectes " de l'Assemblée
parlementaire du Conseil de l'Europe font apparaître que les
organisations sectaires nuisibles doivent être distinguées
des autres organisations qui s'adonnent à des activités
illégales nuisibles et portent atteinte à l'individu,
à la société ou à la dignité humaine.
La caractéristique des organisations sectaires nuisibles est,
comme l'indique l'article 2 de la loi attaquée, qu'elles ont
une vocation philosophique ou religieuse ou du moins se prétendent
telles et qu'elles se livrent, dans leur organisation ou leurs pratiques,
aux activités nuisibles illégales mentionnées.
C'est précisément le caractère philosophique
ou religieux, réel ou prétendu, de ces organisations
qui semble les rendre attractives pour une partie de la population
et qui explique donc la préoccupation particulière à
laquelle la loi attaquée entend répondre.
Le traitement différencié des organisations sectaires
nuisibles et d'autres organisations nuisibles repose donc sur un critère
objectif et ne peut raisonnablement être tenu pour injustifié.
Contrairement à ce qui est soutenu dans le moyen, les principes
invoqués n'exigent pas que l'autorité seule puisse prêter
attention aux activités nuisibles illégales et qu'elle
ne puisse confier toute forme de lutte contre celles-ci qu'au pouvoir
judiciaire.
B.2.9. Bien que
le Centre se voie confier une mission préventive dans la lutte
contre le phénomène des organisations sectaires nuisibles,
sous la forme d'enquêtes, de conseils et de diffusion d'informations
en la matière, il convient de constater que, contrairement
à ce que soutiennent les parties requérantes, les compétences
attribuées au Centre ne portent en aucune manière atteinte
à la liberté des cultes, à celle de leur exercice
public, ainsi qu'à la liberté de manifester ses opinions
en toute matière, garanties par l'article 19 de la Constitution,
ni à la liberté de pensée, de conscience et de
religion ou à la liberté d'expression garanties par
les articles 9 et 10 de la Convention européenne des droits
de l'homme et par les articles 18 et 19 du Pacte international relatif
aux droits civils et politiques, ni à la liberté d'enseignement
que garantit l'article 24 de la Constitution. En effet, la loi entreprise
n'attribue au Centre aucune compétence qui reviendrait à
lui permettre de contrôler et d'interdire a priori la manifestation
d'une opinion et ce, quelle qu'en soit la nature. Les missions confiées
au Centre n'incluent, en particulier, aucune mesure préventive
interdite par l'article 27 de la Constitution en ce qui concerne le
droit d'association. En effet, le Centre n'a pas le pouvoir d'interdire
la constitution d'associations, la loi entreprise ne prévoyant
d'ailleurs aucune autorisation préalable à la constitution
d'une association quelconque, serait-elle une association exerçant
des activités similaires à celles des requérants.
La Cour constate par ailleurs que le Conseil de l'Europe a déclaré
au point 7 de sa recommandation relative aux activités illégales
des sectes (1412-1999) :
" Il est primordial de disposer d'une information fiable sur
lesdits groupements, qui ne provienne exclusivement ni des sectes
elles-mêmes, ni des associations de défense des victimes
de sectes, et de la diffuser largement au grand public, après
que les personnes concernées aient eu la possibilité
d'être entendues sur l'objectivité de telles informations.
"
B.2.10. Compte
tenu notamment des garanties inscrites aux articles 6, § 3, et
10 de la loi attaquée, les pouvoirs reconnus au Centre en matière
de traitement de données à caractère personnel,
sans lesquels le Centre ne pourrait accomplir convenablement ses missions,
ne peuvent pas non plus être considérés comme
contraires à l'article 22 de la Constitution et à l'article
8 de la Convention européenne des droits de l'homme. Les droits
que garantissent ces dispositions ne sont en effet pas absolus. Bien
que l'article 22 de la Constitution reconnaisse à chacun le
droit au respect de sa vie privée et familiale, cette disposition
ajoute en effet immédiatement : " sauf dans les cas et
conditions fixés par la loi ". L'article 8.2 de la Convention
précitée dispose : " Il ne peut y avoir ingérence
d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour
autant que cette ingérence est prévue par la loi et
qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique,
est nécessaire à la sécurité nationale,
à la sûreté publique, au bien-être économique
du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention
des infractions pénales, à la protection de la santé
ou de la morale ou à la protection des droits et libertés
d'autrui. " Il est satisfait, en l'espèce, aux conditions
d'application de cette disposition, dès lors que le législateur
a pu raisonnablement considérer que la mesure est nécessaire
pour protéger les droits et libertés d'autrui.
B.2.11. En ce
qui concerne plus particulièrement la Cellule, il suffit d'observer
que celle-ci a essentiellement une mission de coordination. Elle doit
coordonner les activités des institutions et services existants
relatives à la lutte contre les organisations sectaires nuisibles,
en respectant les compétences établies de ces services
et institutions. La question de savoir si les dispositions constitutionnelles
et les règles de droit international invoquées au moyen
sont à cet égard respectées exige un examen des
lois et règlements qui organisent le fonctionnement de ces
institutions et services. Un tel examen excède toutefois la
saisine de la Cour.
B.2.12. Le moyen
ne peut être admis.
Quant au deuxième moyen
B.3.1. Le deuxième
moyen, formulé en ordre subsidiaire et qui tend à l'annulation
de l'article 2 de la loi attaquée, est pris de la violation
des articles 10 et 11 de la Constitution, lus conjointement avec les
droits et libertés garantis par les articles 19 et 27 de la
Constitution, l'article 9 de la Convention européenne des droits
de l'homme et l'article 18 du Pacte international relatif aux droits
civils et politiques.
Dans une première branche, les parties requérantes allèguent
en substance que les dispositions précitées sont violées
parce que la disposition attaquée fait usage d'un critère
non objectif et non pertinent en se limitant aux groupements à
vocation philosophique ou religieuse ou se prétendant tels.
Dans la seconde branche, elles soutiennent que la disposition attaquée
use d'un critère non objectif et non pertinent en ne se limitant
pas aux organisations qui exercent des activités illégales
mais en étant également applicable aux groupements qui
portent atteinte aux individus ou à la société
ou à la dignité humaine. Dans une troisième branche,
elles allèguent que la mesure attaquée constitue une
mesure préventive discriminatoire et interdite par les articles
19 et 27 de la Constitution.
B.3.2. Comparé
au premier moyen, le second n'expose pas de nouveaux griefs.
B.3.3. Le second
moyen ne peut être admis, pour les motifs exposés lors
de l'examen du premier moyen.
Quant au troisième moyen
B.4.1. Le troisième
moyen, formulé en ordre subsidiaire et tendant à l'annulation
de l'article 6, § 1er, 2°, 3° et 4°, et § 4,
est pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution,
lus conjointement avec les articles 19 et 27 de celle-ci.
Les parties requérantes allèguent en substance que les
dispositions attaquées violent les dispositions mentionnées
au moyen parce qu'elles habilitent le Centre à informer, de
manière préventive, le public ou toute personne qui
en fera la demande sur les éventuelles organisations sectaires
nuisibles telles qu'elles sont définies dans la loi.
B.4.2. Les objections
contenues dans ce moyen ont déjà été examinées
lors de l'examen du premier moyen et sont, pour les motifs mentionnés
à cet endroit, non fondées.
La Cour tient en particulier à rappeler qu'en aucun cas, les
pouvoirs conférés au Centre ne lui permettent d'interdire
à titre préventif la manifestation d'une opinion exprimée
par une minorité philosophique ou religieuse. Le Centre ne
peut qu'informer le public, dans un but de prévention, sur
les activités d'une association afin qu'il puisse apprécier
en connaissance de cause les opinions susceptibles d'être dangereuses
mais librement manifestées par une telle association.
B.4.3. Le troisième
moyen ne peut être admis.
Quant au quatrième moyen
B.5.1. Le quatrième
moyen, formulé en ordre subsidiaire, est dirigé contre
l'article 6, § 3, et est pris de la violation des articles 10
et 11 de la Constitution, lus conjointement avec l'article 22 de celle-ci
et avec l'article 8 de la Convention européenne des droits
de l'homme.
Les parties requérantes considèrent en substance que
les mesures en cause violent les dispositions invoquées au
moyen parce que le Centre est habilité, de manière discriminatoire,
à traiter des données à caractère personnel
relatives aux opinions et aux activités philosophiques et religieuses
de personnes soupçonnées d'appartenir à une organisation
sectaire nuisible et, en particulier, parce que le traitement de ces
données peut s'opérer en vue d'une finalité qui,
comparée au régime de droit commun, est excessivement
large.
B.5.2. Le Gouvernement
de la Communauté française estime que le moyen n'est
pas recevable parce qu'il dénonce exclusivement une violation
de la loi du 8 décembre 1992 relative à la protection
de la vie privée à l'égard des traitements de
données à caractère personnel, modifiée
par la loi du 11 décembre 1998 transposant la directive 95/46/CE
du 24 octobre 1995 du Parlement européen et du Conseil relative
à la protection des personnes physiques à l'égard
des traitements de données à caractère personnel
et à la libre circulation de ces données.
Le Conseil des ministres considère pour sa part que la Cour
n'est pas compétente pour contrôler la disposition attaquée
au regard des directives européennes ou d'une loi belge antérieure.
B.5.3. La lecture
du moyen fait apparaître que celui-ci est pris de la violation
des articles 10 et 11 de la Constitution, lus conjointement avec l'article
22 de celle-ci et avec l'article 8 de la Convention européenne
des droits de l'homme. Dans leur mémoire en réponse,
les parties requérantes expliquent que la référence,
dans le moyen, aux lois du 8 décembre 1992 et du 11 décembre
1998 a exclusivement pour but d'illustrer le traitement différent
qui est réservé aux personnes présumées
appartenir à une organisation sectaire nuisible et qui peuvent
faire l'objet d'un traitement, par le Centre, de données à
caractère personnel, tel que visé à l'article
6, § 3, de la loi attaquée, par rapport au régime
commun du traitement des données à caractère
personnel réglé par les lois précitées.
Les exceptions d'irrecevabilité sont rejetées.
B.5.4. Ainsi qu'il
a déjà été observé au B.2.10, les
pouvoirs accordés au Centre en ce qui concerne le traitement
des données à caractère personnel, sans lesquels
celui-ci ne pourrait remplir convenablement ses missions, ne peuvent,
compte tenu notamment des garanties inscrites aux articles 6, §
3, et 10 de la loi attaquée, être considérés
comme contraires à l'article 22 de la Constitution et à
l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme,
et ceci d'autant moins que les données à caractère
personnel ne peuvent être traitées qu'en vue de l'accomplissement
des missions du Centre visées à l'article 6, §
1er, 1° et 3°, à l'exclusion de toute autre mission.
Le moyen n'est pas fondé en tant qu'il conteste l'attribution
de cette compétence au Centre.
B.5.5. Il résulte
tant de la loi du 8 décembre 1992, qui ne prévoit en
effet aucune exception en la matière (voy. l'article 3, §§
2, 3, 4 et 5), que des travaux préparatoires de la loi attaquée
(Doc. parl., Chambre, 1996-1997, n° 1198/7, pp. 1 et 2; n°
1198/8, p. 43) que la loi du 8 décembre 1992 est applicable
au traitement des données personnelles par le Centre.
La loi du 8 décembre 1992 reconnaît aux personnes dont
les données sont traitées une série de droits,
tels celui à la protection de leurs droits et libertés
fondamentaux, en particulier la protection de la vie privée
(article 2), le droit d'information, d'accès et de rectification
(articles 9, 10, 12, 13 et 14) ainsi que le droit à réparation
lorsqu'elles subissent un dommage causé par un acte contraire
aux dispositions déterminées par ou en vertu de cette
loi (article 15bis). Cette loi impose également une série
de restrictions et d'obligations générales à
ceux qui traitent des données à caractère personnel
(voy. entre autres les articles 4, 5, 16 et 17).
Le traitement de données à caractère personnel
relatives aux opinions philosophiques ou religieuses est, selon cette
loi, en principe interdit (article 6, § 1er), sauf les exceptions
expressément mentionnées (article 6, § 2), parmi
lesquelles figure le cas dans lequel, comme en l'espèce, "
le traitement des données à caractère personnel
[ . ] est permis par une loi, un décret ou une ordonnance pour
un autre motif important d'intérêt public " (littera
l) et moyennant le respect des conditions particulières déterminées
par le Roi, par arrêté délibéré
en Conseil des ministres, après avis de la Commission de la
protection de la vie privée (article 6, § 4).
La loi attaquée habilite le Centre à traiter des données
à caractère personnel relatives aux opinions et aux
activités philosophiques et religieuses pour l'accomplissement
de ses missions visées à l'article 6, § 1er, 1°,
de la loi attaquée - étudier le phénomène
des organisations sectaires nuisibles en Belgique ainsi que leurs
liens internationaux et à l'article 6, § 1er, 3°,
de la loi attaquée assurer l'accueil et l'information du public
et informer toute personne qui en fait la demande sur l'étendue
de ses droits et obligations et sur les moyens de faire valoir ses
droits.
Les garanties relatives à la confidentialité et à
la sécurité des données à caractère
personnel, le statut et les tâches d'un préposé
à la protection des données au sein du Centre et la
façon dont le Centre devra faire rapport à la Commission
de la protection de la vie privée sur le traitement de données
à caractère personnel sont fixés par le Roi,
en application de l'article 6, § 3, alinéa 2, de la loi
attaquée, dans un arrêté délibéré
en Conseil des ministres. En adoptant cette disposition, le législateur
a voulu prévoir des garanties particulières en la matière
" vu le caractère particulièrement délicat
des données sensibles que le Centre sera habilité à
traiter " (Doc. parl., Chambre, 1996-1997, n° 1198/7, p.
2; n° 1198/8, p. 43). Ces garanties, qui ne sauraient évidemment
porter atteinte aux garanties contenues dans la loi du 8 décembre
1992, ne peuvent dès lors constituer que des garanties supplémentaires.
Le moyen n'est pas fondé en tant qu'il objecte que la loi attaquée
entoure le traitement de données à caractère
personnel par le Centre de moins de garanties que n'en prévoit
le régime de droit commun.
B.5.6. Le moyen
ne peut être admis.
Par ces motifs,
la Cour
rejette le recours.
Ainsi prononcé
en langue néerlandaise, en langue française et en langue
allemande, conformément à l'article 65 de la loi spéciale
du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique
du 21 mars 2000, par le siège précité, dans lequel
le juge H. Coremans est remplacé, pour le prononcé,
par le juge M. Bossuyt, conformément à l'article 110
de la même loi.
Le greffier,
L. Potoms.
Le président,
G. De Baets.
Publié
au Moniteur belge du 22.04.2000