Télépro, 06 Janvier 2011
RTBF La1 – Devoir d’enquête, mercredi 12/01/2011 20h20
SOCIÉTÉ
«Devoir d’enquête» piste les charlatans de la santé
«Des thérapeutes bidons ont tué ma mère»
Le magazine «Devoir d'enquête», ce mercredi sur La Une (à 20.20), diffuse un reportage choc sur la nouvelle médecine germanique, une pseudo médecine qui tue. Le reportage est réalisé par Philippe Dutilleul et Nathalie de Reuck, une journaliste qui a perdu sa maman à cause d'un cancer du sein non soigné. Elle nous raconte son histoire.
Votre maman, Jacqueline Starck, est partie dans des circonstances effroyables...
Ma mère est effectivement décédée d'un cancer du sein en 2007. Ce n'est certes pas la seule dans le cas, mais des «thérapeutes » alternatifs l'avaient convaincue de ne pas se soigner.Elle a juste appliqué du citron et de l'oignon sur la tumeur devenue une plaie à vif de deux centimètres. Son bras gauche était gonflé. Elle avait des ganglions dans le cou... Elle a souffert. Elle avait 60 ans.
Comment est-il possible de suivre les conseils de charlatans?
Ce n'est pas si simple. Les gens qui la conseillaient ne se présentaient évidemment pas comme des charlatans. En réalité, tout est parti d'un ostéopathe bruxellois radicalement opposé à la médecine traditionnelle. Cet homme était un ami de la famille depuis une dizaine d'années. La petite boule au sein? Il lui a expliqué d'emblée qu'il s'agissait probablement de la manifestation d'un conflit avec une autre personne. Le corps réagirait ainsi. Il a ensuite affirmé que ce n'était pas grave, que nous faisions tous de petits cancers plusieurs fois par an. II a estimé que toutes les manifestations physiques (même la douleur) sont considérées comme positives, car on met le doigt sur le problème. Ma maman a ensuite été mise en contact avec d'autres thérapeutes du même tonneau qui ont abondé dans le même sens. Elle a été complètement manipulée au point de ne pas se soigner durant un an et demi. Le nom de nouvelle médecine germanique n'a jamais été prononcé.
La nouvelle médecine germanique?
C'est une doctrine créée par Ryke Geerd Hamer, un ex-médecin allemand qui s'est, réfugié en Norvège. A l'entendre, le sida, le cancer ou même le rhume, ça n’existe pas. Il affirme qu'il y a un conflit à l'origine du mal et que, si on arrive à résoudre ce conflit, la maladie disparaît. On parle aussi de «biologie totale». Des thérapeutes autoproclamés et même une poignée d'infirmiers et des médecins diffusent cette théorie. Il s'agit de personnes déçues par les limites de la médecine traditionnelle, car elle n'a pas réponse à tout. Il est aussi question d'un jeu de pouvoir sur des êtres humains. Certains préfèrent se muer en gourou plutôt qu'en bon docteur.
Ces gourous ont tué votre mère...
Oui, c'est d'ailleurs le titre de mon livre. Tout a commencé avec une petite boule au sein, vraiment minuscule. On ne la sentait que lorsqu'on palpait le sein. Ma mère aurait dû se diriger vers la médecine traditionnelle, mais l'ostéopathe bruxellois lui a conseillé de ne faire ni de chimio, ni de passer des radios. La médecine traditionnelle aurait sans doute pu la sauver. Ce type de cancer hormonal est guérissable s'il est pris à temps.
Votre maman était-elle naïve?
Pas du tout! Ma maman était ouverte vers l'extérieur, assez en éveil. Elle possédait cette curiosité et un bagage intellectuel qui la poussaient à s'interroger et à aller plus loin. Les personnes qui tombent dans ce genre de dérive sectaire ne sont pas particulièrement naïves. Au contraire. Mais elles ont déjà été en contact avec d'autres méthodes alternatives pour soigner de petit soucis de santé ou des problèmes de déprime. C'est pourquoi elles peuvent tomber facilement sous la coupe de mauvais thérapeutes. Il faut aussi que ces victimes possèdent assez d'argent pour payer les charlatans. Ma mère a dépensé un minimum de 10.000 euros pour ces consultations bidons. Les contacts, à la fin, se réalisaient par téléphone. Il y en avait jusqu'à une quinzaine par jour, dont de nombreux étaient rémunérés.
Comment cela s'est·il terminé?
Ses thérapeutes l'ont abandonnée quelques semaines avant qu'elle ne décède, affirmant qu'elle «voulait» être malade. C'était tout le contraire. Elle avait par ailleurs écrit dans son agenda: «Lors de la troisième consultation chez le docteur N. (un des charlatans), il m'a demandé si je voulais réellement guérir et si j'avais de la volonté. J'ai répondu par l'affirmative aux deux questions. Il m'a alors dit que je devais stopper mes médicaments en ajoutant que ce serait pénible. J'ai refait, après tant d'erreurs, confiance à un médecin. Je voulais tellement guérir.» Au final, lâchée par ses gourous, elle a alors enfin accepté de se rendre dans un hôpital. Mais il était bien trop tard. Elle a alors appris, à son plus grand étonnement, qu'elle souffrait d'un cancer. Elle a compris sur le tard la supercherie. Elle m'a demandé de l'aider à faire éclater la vérité pour empêcher que cela se reproduise. Il est toujours délicat d'avancer des preuves dans ce genre d'affaires. Heureusement, elle avait pris des notes et enregistré les conversations.
Entretien: Rodolphe MASUY •
À lire «On a tué na mère», Nathalie de Reuck el Philippe Dutilleul,éditions Buchel-Chastel
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Le procès de Louis Vliegen et la «biologie totale»
En Belgique, le titre de psychothérapeute n'est pas protégé. Louis Vliegen, assistant social de formation, s'est donc attribué la qualité ronflante de «psychothérapeute en gestalt avec décodage psycho-biologique". Un procès concernant cet homme est en cours à Liège. Les faits reprochés? Exercice illégal de l'art de guérir, coups et blessures ayant entraîné la mort sans intention de la donner et escroquerie. Louis Vliegen donne toujours des conférences en s'inspirant des «travaux» décriés de Claude Sabbah, le chef de file de la mouvance sectaire «biologie totale des êtres vivants». La justice belge reproche à Louis Vliegen, 55 ans, d'avoir incité des patients à arrêter leur traitement. À la poubelle donc les médicaments et autres radiothérapies! Une dame souffrant d'un cancer en serait morte, et la famille a déposé plainte. Louis Vliegen nie les faits qui lui sont reprochés.
Une fillette morte à 12 ans
Des mises en garde contre la nouvelle médecine germanique et la biologie totale commencent à fleurir. Le blog «seulomonde.canalblog.com» est un des plus complets en matière d'information sur ces dérives. On y apprend notamment que Susanne, 12 ans, est une des plus jeunes victimes de la nouvelle médecine germanique. Les parents de Susanne ont suivi les conseils du «bon»docteur Hamer. Ils ont abandonné les traitements alors que l'enfant avait 70 % de chance de guérir: «Aucune thérapie n'avait été poursuivie», peut-on y lire. Les parents ont volontairement soustrait la petite aux traitements de l'hôpital. Résultat? «La tumeur avait de nouveau grossi et s'était aussi propagée à d'autres organes, si bien que la situation avait empiré.» L'enfant est décédée. Hamer est toujours influent depuis la Norvège. Il y aurait 100.000 adeptes de ses théories abracadabrantesques, rien qu'en Allemagne.
© Télépro pages 16-17 2011