Le Jour, 29 Janvier 2011

SANS DÉTOUR

ANDRÉ FRÉDÉRIC

POUR COMPRENDRE

Vous avez écrit un livre en rapport avec les sectes : « Broyeurs de conscience. L’évolution du phénomène des sectes en Belgique », aux éditions Luc Pire. Avant cela, vous aviez présidé le groupe de travail relatif à cette problématique, en 2006.
Comment est née votre implication sur ce sujet ?

C’est parti d’un constat dans la région, quand je me suis aperçu qu’il existait plusieurs organisations qui posaient question. Et la question était de savoir ce que faisaient les pouvoirs publics pour protéger les gens. Une commission parlementaire a été créée en 1996 et un rapport en a découlé un an plus tard. Mais dix ans plus tard, qu’en était-il
devenu, concrètement ? J’ai alors questionné les ministres compétents, pour me rendre
compte qu’il n’y avait pas grandchose de réalisé, hormis la création d’un observatoire (le Centre d’information et d’avis sur les organisations sectaires nuisibles), qui constitue d’ailleurs un excellent outil d’information en la matière. Mais c’était tout. J’ai alors présidé le groupe de travail, en 2006, pour faire le point sur ce secteur. Un travail qui est à la base du bouquin que j’ai sorti plus tard, et qui évoque donc plusieurs constats qui découlent de ce groupe.


SON PARCOURS

André Frédéric voit le jour le 4 juillet 1958 à Verviers.
Diplômé instituteur primaire de l’École normale de Verviers, il entame sa carrière en tant qu’instituteur dans une classe à six divisions dans le village de Hèvremont-Limbourg. Les années 1980 sont particulièrement difficiles pour les enseignants et il est amené à remplir divers contrats en sous-statut dans le secteur associatif.
En 1986, il est engagé comme animateur régional au PAC Verviers (Présence et action culturelles). En 1987, il devient conseiller communal à Theux, conseiller provincial (1987-1991), puis président de la Fédération verviétoise du PS (1992-1998) et 1er échevin (1995-2006). En 1988, il devient responsable de la cellule sociale du ministre fédéral puis communautaire de l’Éducation, Yvan Ylieff. Et c’est le 13 octobre 1998 qu’il prête serment à la Chambre des représentants. Il est réélu en avril 2000, puis en 2003, 2007 et 2010. Actuellement, en plus de son mandat de député fédéral, il occupe le poste de vice-président de la Chambre des représentants. Au niveau communal, il est président du CPAS de Theux et échevin en charge de la Culture, du Tourisme et des Aînés.


«Les victimes de sectes ont besoin d’une structure d’accueil»

Malgré son procès contre le Père Samuel, le député fédéral André Frédéric (PS) poursuit son combat contre les dérives sectaires. Il fait le point.

Interview : Gil BIDOUL

Depuis toutes ces années au cours desquelles vous menez un combat contre les dérives liées aux sectes, où en est-on actuellement ?

Le constat du groupe de travail est très clair : il y a une évolution du phénomène dans notre pays, aussi bien au nord qu’au sud. Une évolution d’un point de vue quantitatif, mais aussi qualitatif. En 1996, on pouvait dénombrer 189 organisations sectaires différentes, aussi bien collectives qu’individuelles.
Douze ans plus tard, nous étions à près de 700! Mais surtout, c’est une diversification terrible, ces dernières années, qui a été constatée.

C’est-à-dire ?

Avant, c’était le schéma apocalyptique qui dominait : la fin du monde, se protéger contre l’enfer, etc. Maintenant, avec la perte des repères des mouvements religieux, les activités sectaires se sont diversifiées. Les sectes font dans l’humanitaire.
Comme la scientologie par exemple. Ainsi, lors de la catastrophe d’Haïti, le premier avion sur place, avant l’aide humanitaire, était celui de John Travolta.
Ils s’attaquent à des gens en situation de faiblesse. Les sectes agissent dans presque tous les domaines : la formation professionnelle, l’éducation et l’enfance, le développement personnel, etc. Sans oublier celui de la santé, le plus important pour moi à ce jour.

Comment agissent-elles pour convaincre leurs futurs adeptes?

Prenons le cas de celle évoquant la transmission de la lumière, Mahikari à Heusy. Attention, je ne juge pas et je ne conteste pas ces activités. Le problème, c’est quand des gens abandonnent leur traitement médical pour se faire soigner dans de tels endroits. Ce sont donc les dérives que je n’admets pas. À titre d’exemple, on peut citer ce cas d’une dame qui a laissé tomber ses séances de chimiothérapie pour se faire soigner par la transmission de la lumière. Je ne dis pas qu’elle ne serait pas décédée des suites de sa maladie, mais au moins elle aurait eu une chance de s’en sortir.
L’approche des sectes est souvent la même : on vous tombe dessus, on fait un lavage de cerveau, on « reformate» puis on s’attaque au portefeuille. L’intention n’est jamais avouée au départ. Ils sont à l’écoute de la personne, puis l’intègrent dans un groupe, avant de couper le lien social avec l’extérieur.

Comment en sortir ? Que doit faire l’entourage ?

L’entourage est souvent perdu. Mais il est très important de ne pas dire à la personne enrôlée dans la secte qu’elle a tort. Et surtout, il faut garder contact avec elle.

Quels sont les outils mis en place pour lutter contre les dérives sectaires ?

Il y a l’observatoire (NDLR : voir ci-contre). La cellule en charge du terrorisme et des sectes au niveau de la police fédérale est aussi très active. Au niveau législatif, nous sommes justement en train de faire le maximum pour faire passer une loi, sur le modèle français.
La France est le premier pays européen à avoir adopté une législation visant à renforcer la prévention mais aussi la répression à l’égard des groupements sectaires. C’est la loi Abou-Picard.
L’objectif est de pouvoir condamner les abus de faiblesse.
Tous les spécialistes sont unanimes à ce sujet : il faut avancer le plus vite possible.
Dans les semaines à venir, nous serons amenés à voter en commission parlementaire. Avant, je l’espère, d’aller plus loin dans le processus. Prochainement sera mise en place une structure d’accueil et d’écoute, au moins via une ligne téléphonique, pour les victimes qui appellent à l’aide.

Dès la sortie de votre livre, Broyeurs de conscience. L’évolution du phénomène des sectes en Belgique ; vous avez été attaqué par le Père Samuel en justice. Où en est cette procédure ?

Tout ce que je peux dire, c’est que j’ai confiance en la justice.
Une plainte a effectivement été déposée et elle devrait être jugée en mars 2012. Il réclame des dommages et intérêts, notamment.
J’ai évidemment pris un avocat (NDLR : Marc Uyttendaele) pour défendre mes intérêts.

Regrettez-vous votre implication, vos recherches et la sortie de votre livre ?

Je ne regrette rien du tout. Vraiment rien.

Avez-vous déjà subi des pressions ou des menaces de certaines personnes actives dans les milieux sectaires ?
De temps en temps, c’est vrai que je reçois des menaces verbales, lors de colloques par exemple. Mais ça s’arrête là. Heureusement.

Création d’une ASBL en mai

Concrètement, qu’est-ce qui va être mis en place pour venir en aide aux victimes ?

Je l’annoncerai le 28 mai prochain, lors d’un colloque que je donnerai à l’Hôtel Verviers sur le thème « l’évolution des sectes dans notre pays. Quelle place pour les victimes ?» Une association va voir le jour sur l’ensemble de la Wallonie, mais aussi à Bruxelles, pour venir en aide aux victimes. Concrètement, celles-ci auront dès lors la possibilité d’avoir un interlocuteur vers lequel s’orienter.
Un élément qui n’était pas encore vraiment d’application jusqu’à présent. Ce sera un outil
important qui permettra peut-être aux victimes des dérives des sectes de s’exprimer et de
déposer plainte pour dénoncer les faits dont elles ont été victimes.
Ce sera un grand pas en avant, en plus de l’outil pénal sur lequel nous sommes en train de travailler.

© Le Jour 2011( article en pdf)