Le Monde des Religions, 02 Février 2012

SectesLa Scientologie et la manipulation mentale
Florence Quentin - publié le 02/02/2012

L'Eglise de scientologie parisienne a vu son amende de 600 000 euros pour escroquerie confirmée en appel jeudi 2 février. Niée par les sectes, la manipulation mentale est pourtant indissociable de la mise sous dépendance de l'adepte. En le privant de toute capacité d’analyse, elle le rend réceptif aux discours idéologiques et le prive de son libre arbitre.

L'Eglise de scientologie parisienne a vu son amende de 600 000 euros pour escroquerie confirmée en appel jeudi 2 février. La cour d'appel de Paris était chargée de juger la branche française de l'Eglise de Scientologie, la librairie scientologue SEL et cinq scientologues pour "escroquerie en bande organisée". La justice les soupçonnait en effet d'avoir profité de la vulnérabilité de leurs adeptes pour leur soutirer de l'argent. Vulnérabilité, un mot qui revient le plus souvent dans les procès et les attaques visant les mouvements sectaires et qui dit bien que les adeptes, fragilisés psychologiquement, sont le plus souvent victimes de manipulation mentale qui leur ôte leur faculté de juger. Pour autant, comment déterminer ce qui relève de l’influence ou de la manipulation, sachant que dans toute structure –parti politique, société initiatique, association, religion ou secte - la frontière est parfois floue entre ces deux options? En se référant par exemple à ce qu’en dit la psychiatrie médico-légale : 
" La manipulation mentale est l'ensemble des manœuvres visant à modifier les processus décisionnels d'un individu ou d'un groupe social par utilisation de techniques individuelles ou groupales physiques ou psychiques, afin de le (ou les) placer sous contrôle partiel ou total de l'auteur de la manipulation."

La Dianétique en question
Face à cette définition se pose bien sûr le problème du degré de manipulation - socialement acceptable ou moralement condamnable. Dans ce domaine, justement, la scientologie – qu’un rapport parlementaire de 1995 a rangé parmi les sectes- est passée maître avec la Dianétique, concept inventé dans les années 50 par Ron Hubbard, auteur de science fiction et fondateur de ce mouvement. Cette démarche psychospirituelle propose de résoudre les problèmes de l’esprit, de la vie et de la pensée. Pour y parvenir, le fidèle ou "audité" va trouver un " ministre-conseiller" ou "auditeur" qui doit l’aider à devenir maître de son mental. Le plus souvent, un appareil, l'électromètre, est utilisé pour détecter les zones de détresse spirituelle. La justice française s’est intéressée de près à ces machines à explorer les émotions comme aux saunas destinés à "dissiper le brouillard mental" et autres prescriptions de médecine alternatives censées spiritualiser l’adepte mais surtout, selon les détracteurs de la scientologie, de "plumer" (au mieux) les malheureux qui sont tombés dans le panneau et au pire, de les épuiser jusqu’à ce que leur libre arbitre soit émoussé.

Les enfants aussi
La manipulation mentale n’épargne pas non plus les enfants, comme en témoignent certains groupes évangéliques néo-pentecôtistes nord-américains. Dans les Fire Summer camps, ces colonies de vacances militantes pour enfants, l’endoctrinement religieux est intensif. Fondés par Becky Fischer, une femme pasteur aux méthodes musclées, on y "entraîne" les plus jeunes à prier du matin au soir pour les causes de la Nouvelle Droite Chrétienne - fin de l’avortement etc., - et à débusquer le démon (la littérature de type Harry Potter leur est interdite au motif qu’elle parle de sorcellerie). Jouer sur la peur (le nom de Satan est sans cesse invoqué) et la culpabilité des petits "colons" (séances de confession publique à l’appui) fait aussi partie du programme. Tous les jours, lors de grand’messes, ils sont poussés jusqu’à la transe par la récitation répétée de slogans et de prières. Les enfants sont conditionnés pour devenir des soldats du Christ enrôlés dans une "guerre spirituelle" que leur directrice de conscience apparente à celle des "jeunes gens engagés pour la cause de l’Islam en Palestine ou au Pakistan". Qui plus est, ces enfants sont doublement isolés car en dehors de ces camps, leurs parents préfèrent leur éviter l’influence "pernicieuse" de l’école en leur enseignant eux-mêmes à domicile, entre autres, les "mensonges" du darwinisme. Jesus Camp, documentaire sorti en 2006, montrait les ravages émotionnels de cet encadrement militant sur des centaines d’enfants (on parle même de milliers de jeunes américains concernés).

L’apocalypse pour demain
En dépit de l’émotion suscitée, les condamnations -parfois ambigües- des mouvements évangéliques sont restées lettre morte. En décembre 1995, dans le Vercors, seize personnes dont trois enfants étaient "suicidées" par l’Ordre du Temple Solaire, convaincus de l’imminence de l’apocalypse. Seize ans après, les mouvements apocalyptiques (avec décembre 2012 en ligne de mire) montrent un regain d’activité : face au "risque d’instrumentalisation de ces prédictions, à des fins d’emprise sur les personnes les plus vulnérables", la MIVILUDES (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires) a décidé d’en faire une priorité, surtout quand on sait que, selon un sondage Ipsos réalisé en 2010, près de 15 millions de Français disent avoir "été personnellement contactés par une secte ou les membres d’une secte".

Les étapes de la manipulation mentale, récurrentes dans les mouvements sectaires :

1- On attire le futur adepte en développant des thèmes porteurs de notre époque comme la méditation, la relaxation, la psychothérapie ou l’écologie, en lui offrant des réponses simples aux questions existentielles et en lui promettant l’accès à une forme de connaissance.

2- Une fois ferré, l’adepte est généralement soumis à un régime épuisant (physique, diététique). En lui faisant aussi adopter le vocabulaire et l’idéologie du mouvement, l'adepte commence à se couper du monde et sa pensée s’appauvrit.

3- Il est ensuite poussé à la rupture avec ses proches et avec la société, qu’on lui désigne comme un milieu hostile. Seul son maître détient la vérité. L’adepte est de plus persuadé qu’il a une mission rédemptrice à accomplir.

4- Enfin, le retour à la vie "normale" est quasi impossible car l’adepte n’a plus ni travail, ni revenu, ni liens sociaux à l’extérieur du groupe sectaire. Sans oublier la peur liée aux intimidations pour celui qui aurait des velléités de départ.

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