Le Monde, 02 février 2012


L'Eglise de scientologie condamnée pour escroquerie
LEMONDE.FR avec Reuters et AFP

La cour d'appel de Paris a condamné, jeudi 2 février, deux entités de la scientologie française à 600 000 euros d'amende pour "escroquerie en bande organisée" dans une affaire sans précédent pour ce groupement américain. "L'association spirituelle de l'Eglise de scientologie Celebrity Centre considère que la décision rendue est totalement faussée et inéquitable, car elle est le résultat d'une sorte de procès fantôme, où de nombreuses irrégularités et violations des droits fondamentaux des scientologues se sont succédé", a-t-elle indiqué dans un communiqué. "Elle annonce qu'elle se pourvoit immédiatement en cassation contre l'arrêt de la Cour d'appel", a-t-elle ajouté.
Le principal responsable français, Alain Rosenberg, a été condamné à deux ans de prison avec sursis et 30 000 euros d'amende, des peines de prison avec sursis, ainsi que des amendes, ont été prononcées contre trois autres responsables.

Le procès avait tourné court en novembre en raison du départ des prévenus et de leurs avocats, parlant de "tribunal d'inquisition". Cet arrêt confirme le jugement de première instance qui avait vu notamment les personnes morales de l'Eglise de scientologie frappées de 600 000 euros d'amende, en octobre 2009.

L'accusation reprochait aux deux principales structures de la scientologie française – l'association spirituelle de l'Eglise de scientologie Celebrity Centre et sa librairie SEL – et à cinq scientologues d'avoir profité de la vulnérabilité d'anciens adeptes pour leur soutirer de fortes sommes d'argent. Elle a demandé des amendes qui ne soient "pas inférieures" à 1 million et 500 000 euros à l'encontre du Celebrity Centre et de la SEL, mais pas d'interdiction d'exercer.

GUÉRILLA PROCÉDURALE

C'est la première fois que la justice française écrit dans un arrêt que les activités des scientologues sont en elles-mêmes une entreprise d'escroquerie. Jusqu'ici, seules des personnes physiques, responsables de la scientologie, avaient été condamnées en France dans d'autres affaires.

Créée en 1954 par l'écrivain de science-fiction Ron Hubbard, la scientologie revendique actuellement 12 millions d'adeptes dans cent cinquante pays, dont quarante-cinq mille en France. Elle présente comme une aide et une "liturgie" ce que la justice qualifie de méthodes d'escroquerie : tests de recrutement, cures de "purification" avec saunas ou cures de vitamines, joggings intensifs et utilisation de "l'électromètre", appareil emblématique de l'organisation présenté comme "liturgique". Elément non contesté, ces pratiques sont lourdement facturées, les plaignants du dossier français – des personnes vulnérables recrutées dans la rue et convaincues par un "test de personnalité" – ont toutes dû acquitter de lourdes sommes.

L'organisation américaine avait mené en vain une guérilla procédurale pour tenter de faire capoter l'audience en appel, soulevant une quinzaine d'arguments dont une dizaine de questions prioritaires de constitutionnalité (QPC). Tous ces arguments ont été rejetés par la cour d'appel.

Plusieurs dizaines de scientologues se sont rassemblés jeudi à la mi-journée devant le palais de justice de Paris, pour protester contre la condamnation de la scientologie parisienne pour "escroquerie en bande organisée". "Pas de discrimination pour les scientologues", scandaient les participants, en tapant sur des tambours. Ils arboraient des pancartes proclamant "J'ai droit à ma religion", "Non à un procès en hérésie", "Non à une justice sous influence".

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"Une condamnation historique" contre l'Eglise de scientologie

Catherine Picard, présidente de l'Union nationale des associations de défense des familles et de l'individu victimes de sectes (UNADFI) revient sur la condamnation de la Scientologie.

Est-ce la première fois que la Scientologie est condamnée en France ?

Oui, c'est une condamnation historique.

Plusieurs responsables de la secte avaient déjà été condamnés dans le passé, mais en tant que personnes physiques. C'est la première fois que l'Eglise de scientologie est condamnée comme organisation, en tant que personne morale, pour escroquerie en bande organisée.

L'UNADFI se félicite de l'issue du procès, qui rend hommage à toutes les victimes qui n'ont pas eu la possibilité d'attaquer cette secte.

La France est-elle précurseure dans la lutte contre les sectes ?

Oui, la France s'est intéressée relativement tôt à ce fléau. La Scientologie a été désignée comme "secte" dans un rapport parlementaire pour la première fois dès 1995. En 1999, la Mission interministérielle de lutte contre les sectes (MILS) (lien PDF) est allée encore plus loin en la classant comme secte "absolue" et en recommandant sa dissolution.

La lutte judiciaire qui prend fin aujourd'hui a commencé en 1999. Le combat a été très long et très dur. Mais cette condamnation témoigne de la détermination de la justice française.

Quelles sont les conséquences de cette condamnation pour la Scientologie ?

Même si les sanctions financières sont dérisoires pour ce groupe très riche, la confirmation définitive de la culpabilité pour escroquerie constitue un précédent susceptible de freiner son expansion. Cette condamnation est un symbole puissant qui ternit son image.

C'est également un signal positif envoyé à la justice belge où plusieurs procès sont en cours.

Le parquet avait requis la dissolution du Celebrity Centre et sa librairie, les deux principales structures françaises de la scientologie. Mais cette dissolution était en fait inapplicable, la lutte continue donc.

Propos recueillis par Anne-Gaëlle Rico

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Scientologie française : 15 ans de démêlés judiciaires

1995 : La scientologie est classée parmi les sectes dans un rapport du Parlement français, alors qu'elle est considérée comme une religion aux Etats-Unis depuis 1973.

28 juillet 1997 : La cour d'appel de Lyon condamne l'ancien président de la scientologie locale, Jean-Jacques Mazier, pour homicide involontaire et escroquerie, reconnaissant sa responsabilité dans le suicide d'un adepte.

15 novembre 1999 : Cinq scientologues sont condamnés à Marseille pour escroquerie au bout de dix ans d'un procès à rebondissements. Le procureur et le président du tribunal de grande instance ont notamment reconnu la "destruction par erreur", en novembre 1998, d'un certain nombre de pièces à conviction placées sous scellés. La plus lourde condamnation est de deux ans d'emprisonnement dont dix­-huit mois avec sursis et 15 000 euros d'amende pour un "ministre du culte".

13 octobre 2003 : L'Eglise de scientologie d'Ile-de-France est condamnée à 5 000 euros d'amende avec sursis pour le fichage illicite d'anciens membres. Elle est cependant relaxée du délit d'entrave aux fonctions de contrôle des agents de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL).

Le président de l'association, Marc Walter, écope de la même peine pour violation de la loi informatique et libertés, ainsi qu'entrave aux fonctions des agents de la CNIL.

27 octobre 2009 : Le Celebrity Centre et sa librairie SEL, les deux principales structures de la scientologie française, sont condamnées en première instance à de lourdes amendes (respectivement 400 000 et 200 000 euros). Elles font appel du jugement alors même qu'elles sont autorisées à poursuivre leur activité.

Le "dirigeant de fait", Alain Rosenberg, écope de deux ans de prison avec sursis et 30 000 euros d'amende. Quatre autres scientologues sont condamnés à des peines allant de 2 000 euros d'amende à 18 mois de prison avec sursis et 20 000 euros d'amende.

11 mai 2011 : Après treize ans d'instruction, le parquet de Créteil requiert le renvoi en correctionnelle de sept personnes, dont deux ex-responsables de la scientologie parisienne, dans l'enquête sur l'Institut Aubert de Vincennes. Cette école privée du Val-de-Marne est soupçonnée d'avoir appliqué des préceptes de la scientologie à l'insu de parents d'élèves.

2 février 2012 : La cour d'appel de Paris condamne le Celebrity Centre et sa librairie SEL à 600 000 euros d'amende pour "escroquerie en bande organisée".

Alain Rosenberg est condamné à deux ans de prison avec sursis et 30 000 euros d'amende. Des peines de prison avec sursis, ainsi que des amendes, sont prononcées contre trois autres responsables.

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